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en l’honneur de la feue reine d’Espagne, Marie-Anne d’Autriche, le nom d’îles Mariannes, qui lui est définitivement resté. Il y débarqua et planta sur la plage, à côté de l’étendard d’Espagne, la croix chrétienne, prenant possession de ces îles au nom du roi son maître. Bien accueilli par les habitans, auxquels il promit d’envoyer des missionnaires pour les convertir et les instruire, il n’y fit qu’un court séjour, et s’achemina sur les Philippines, dont il compléta la conquête. Plus importantes et plus riches que les Mariannes, les Philippines l’absorbèrent, lui et ses successeurs. Ce beau fleuron ajouté à la couronne d’Espagne leur fît oublier longtemps l’archipel voisin. Ils l’eussent entièrement négligé sans le zèle des missionnaires, aussi impatiens de porter dans ces contrées la croix du Christ que ces hardis soldats de conquérir des terres nouvelles.

L’un de ces missionnaires a joué un grand rôle dans l’histoire des Mariannes. Don Luis Diego de Sanvitores, descendant d’une illustre maison de Burgos, comptant le Cid parmi ses ancêtres, était entré dans la Compagnie de Jésus et avait professé à l’université d’Alcala. Le clergé espagnol d’alors se recrutait fréquemment parmi les plus grandes familles du royaume. L’église, et surtout la Compagnie de Jésus, était une armée enflammée du zèle de Dieu, impatiente d’étendre son empire, aspirant, elle aussi, à l’universelle domination. Passionnés pour la conquête des âmes, assoiffés de martyre, les missionnaires espagnols affrontaient les dangers avec la même intrépidité que les marins et les soldats, emportés par le même souffle héroïque. Les supérieurs de la Compagnie avaient peine à modérer le zèle de leurs ardens acolytes, qui tous brûlaient du désir d’illustrer leurs noms et de conquérir une place dans le martyrologe déjà long du XVIe siècle. Sanvitores obtint d’eux, non sans peine, d’être envoyé au Mexique, où le vice-roi, comte de Banos, essaya vainement de le retenir, séduit par son éloquence et frappé des conversions nombreuses qu’il faisait. Si vaste que fût encore ce champ nouveau, il ne satisfaisait pas les vœux de Sanvitores. Pionnier du christianisme, il aspirait à le porter là où le nom du Christ était encore inconnu. Les Philippines l’attiraient; il obtint la permission de s’y rendre.

Parti d’Acapulco le 5 avril 1662, il abordait aux Philippines le 10 juillet suivant, après avoir fait escale dans l’archipel des Mariannes, où les indigènes lui rappelaient la promesse de l’amiral de Légaspé de leur envoyer des missionnaires d’Espagne. Touché par leur accueil, par le désir qu’ils manifestaient de le voir se fixer au milieu d’eux, saisi d’un grand trouble religieux à la pensée qu’ils attendaient depuis des années l’exécution d’un engagement solennel, il crut en outre entendre, dans le silence de la nuit, une voix mystérieuse l’appeler par son nom et lui dire qu’il avait reçu la