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conçut le projet de joindre l’Orient à l’Occident par la conquête de toutes ces îles dont, pour la première fois, l’existence était révélée à l’Europe. Maître du Mexique et de l’Amérique centrale, de 800 lieues de côtes sur le Pacifique, le tout-puissant empereur, arbitre de l’Europe, ne voyait pas de bornes à sa domination. Entre les rives mexicaines et l’archipel d’Asie, l’imagination surexcitée des hardis marins espagnols rêvait une succession ininterrompue d’archipels riches en or et en épices, séparés par des bras de mer faciles à franchir, étapes préparées par la nature, destinées à relier les deux continens. Tout un monde nouveau s’ouvrait à leurs yeux éblouis. On ajoutait foi aux récits les plus surprenans, aux assertions les plus étranges. L’or du Nouveau-Monde, les produits précieux de l’Asie affluaient et levaient tous les doutes. Ce que l’on voyait, ce que l’on touchait, autorisait à tout croire.

Sur l’ordre de Charles-Quint, le général Ruy Lopez de Villalobos mit à la voile pour les Philippines. Il devait vérifier le rapport des compagnons de Magellan, compléter ses découvertes, achever ses conquêtes. Villalobos reconnut les Carolines orientales, les Palaos, Luçon, Saragan ; mais, à court de vivres et de munitions, ne pouvant ni combler les vides de son effectif ni remplacer ou réparer sa flottille, échouée comme une épave à Amboine, il y mourut à bout de forces, rongé par le chagrin, désespéré de ne pouvoir rentrer triomphateur en Espagne. Il avait accompli des prodiges avec les faibles ressources dont il disposait. Lancé ainsi aux extrémités du monde, il avait tenté l’impossible : conquérir avec une poignée d’hommes des archipels peuplés de millions d’indigènes, planter et maintenir sur ces terres inconnues le pavillon confié à sa garde.

La mort de Villalobos n’était pas pour décourager ses successeurs. Jamais l’Espagne ne fut plus riche en hommes qu’à cette époque. Un souffle ardent soulevait ce peuple enfiévré de sa grandeur, ne doutant de rien, convaincu qu’il était appelé à conquérir et à gouverner le monde. Jamais la fierté castillane ne fut plus et mieux justifiée ; jamais autant de héros, illustres ou obscurs, ne se lancèrent plus hardiment dans l’inconnu, emportés par une force irrésistible, mélange singulier de soif de l’or, d’amour des aventures, de ferveur religieuse et d’orgueil patriotique.

Après Charles-Quint, Philippe II. Après Magellan et Villalobos, Miguel Lopez de Legaspé. Philippe II reprit les projets de son père, Legaspé fut chargé de les exécuter. Sur l’ordre du roi d’Espagne, dom Luis de Velasco, gouverneur du Mexique, équipe une nouvelle flotte dont Legaspé prend le commandement. Parti en 1563, au moment de la mousson, les vents d’ouest le poussent rapidement sur la route déjà suivie en partie par Magellan. Il relève l’archipel de los Ladrones, qui, débaptisé une fois de plus, en 1668, devait recevoir,