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à son ambition coloniale une porte largement ouverte et lui assurant des avantages commerciaux très sérieux. L’Espagne a dû également, en échange de la reconnaissance de ses droits sur les Carolines, concéder à la navigation allemande un traitement de faveur, et aux émigrans allemands, les mêmes facilités d’achat de terres, les mêmes privilèges et les mêmes droits qu’à ses nationaux. Étant données l’activité prodigieuse des Allemands et l’apathie des colons espagnols, il est fort à craindre que, dans peu d’années, les premiers n’aient conquis aux Carolines une véritable prépondérance et ne laissent à l’Espagne qu’une suzeraineté nominale sans force comme sans racines.


IV.

À l’est des Carolines, sur une mer transparente et calme, l’archipel des Marshall soulève au-dessus de l’océan ses trente-trois îles, que relient les unes aux autres des récifs sous-marins tapissés de sable et de madrépores. De formation coralligène, elles se rattachent au groupe des Gilbert, avec lequel elles se confondent, et qui, au dire de certains navigateurs, tendrait à disparaître, par suite d’un affaissement du sol. Cette hypothèse ne repose sur aucune observation précise. Ce qui paraît plus vraisemblable, au contraire, c’est l’exhaussement continu des bancs de coraux, qui, prolongeant toujours plus au large la superficie des îles basses des Gilbert, semble leur enlever en altitude ce qu’il leur ajoute en étendue. Les zoophytes à l’œuvre poursuivent là encore leur incessant travail de construction, et les prodigieux massifs créés par eux amortissent à ce point la houle de l’océan qu’entre ces îles la mer acquiert une translucidité prodigieuse. On navigue sur des eaux unies qui permettent de discerner jusqu’à une grande profondeur le relief du sol sous-marin, les arêtes aiguës des récifs, les bancs madréporiques, les coraux aux formes bizarres et contournées, entre lesquels se meuvent capricieusement des poissons étranges, sillonnant, comme de rapides éclairs qui emprunteraient au prisme de l’arc-en-ciel ses couleurs variées, l’onde immobile dans laquelle ils se jouent.

À mesure que nous nous éloignons du grand archipel d’Asie, la flore et la faune s’affinent. À la végétation sombre et monstrueuse de Sumatra et de Bornéo succèdent des forêts dans lesquelles l’air circule, sous lesquelles pénètre la lumière tamisée du soleil des tropiques, brûlant encore, mais moins écrasant que celui de l’équateur. L’impénétrable ramure qui recouvre les marécages croupissans fait place aux troncs élancés, aux verts panaches des cocotiers et des palmiers, aux tiges noueuses, aux feuilles lancéolées et bruissantes du pandanus. La faune est pauvre en animaux terrestres :