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à l’abri de leurs ennemis. Sur des poutres hautes de 10 à 15 mètres, ils édifient une case dans laquelle ils s’entassent pour passer la nuit et afin d’être en nombre pour repousser les assaillans qui, à l’improviste, viennent les attaquer, cherchant à incendier leurs toitures de bambous à l’aide de flèches enflammées. Souvent abrités sous leurs boucliers serrés les uns contre les autres et formant la tortue, les assiégeans parviennent jusqu’aux pieux, qu’ils attaquent à coups de hache, pendant que les assièges font pleuvoir sur eux une grêle de pierres. Mais, leurs munitions épuisées, ils assistent, spectateurs impuissans à l’œuvre de destruction, jusqu’au moment où leur habitation s’effondre dans le vide Alors on fait le partage des captifs; on achève les blesses et les vieillards! on emmène les femmes et les enfans, et l’incendie consume les débris.

Le génie de la destruction semble incarné dans cette race malaise. Plus nombreuse et plus forte, elle eût couvert l’Asie de ruines. Enfermée dans ces îles, elle tourne contre elle-même ses instincts de cruauté, son besoin d’anéantissement Les missionnaires seuls s’aventurent au milieu de ces peuplades féroces. Ils ont, eux aussi, fait le sacrifice de leur vie, et, la tenant pour rien, parviennent à s’imposer, à évangéliser, à convertir Ils travaillent pour leur Dieu et leur patrie, amènent à la foi et à la soumission à l’Espagne les plus misérables et les plus pauvres; mais ce n’est qu’à la condition de les dépayser et de les transplanter. Ils les décident à les suivre, les entraînent à quelques journées de marche et fondent un pueblo. Ces établissemens d’infieles reducidos se multiplient depuis quelques années, formant, au milieu de la barbarie qui les entoure, des oasis de culture et de vie relativement paisibles, ouvertes à tous ceux qui viennent y chercher un abri. Plus le pueblo compte de néophytes, moins il est exposé à l’invasion hostile. Le docteur Montano nous retrace à grands traits l’histoire de l’un de ces hardis missionnaires, le révérend père Saturnino Urios de la Compagnie de Jésus. En une année, il a converti et baptisé 5,200 infieles. Que bon nombre de ces conversions soient plus apparentes que réelles, que la misère y ait plus de part que la foi, cela se peut; il n’en est pas moins vrai que le résultat obtenu est considérable, et que, pour gagner les âmes, il faut à tout le moins commencer par sauver les corps.


III.

En quittant les Philippines et en se dirigeant vers l’est, on relève, à 220 lieues de distance, un groupe d’îles, les Palaos ou Pelews,