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voulu laisser le commandement à ses lieutenans. Sébastien del Cane le remplaçait, et rentrait en Espagne à bord du Vittoria, le premier navire qui eût fait le tour du monde.


II.

En mourant, Magellan léguait à sa patrie adoptive le souvenir du plus hardi navigateur connu; il lui léguait aussi l’une de ses plus riches colonies, à laquelle l’amiral de Villalobos donnait le nom d’archipel des Philippines, en l’honneur du prince des Asturies, depuis Philippe II.

Neuf millions d’habitans, dont 10,000 Européens et 50,000 Chinois, peuplent cet archipel, que l’Espagne occupe avec 4,175 hommes de troupe, et dont elle tient en échec les pirates frémissans et à peine domptés de Mindanao et de Soulou avec une escadre montée par 2,000 marins. Ici, comme à Bornéo, à Sumatra, aux Célèbes, nous retrouvons sur un même sol plusieurs races distinctes : les Négritos, dont M. de Quatrefages a fixé les traits caractéristiques : « Vrais nègres à teint très noir, aux cheveux laineux naissant par petites touffes isolées;., petitesse de la taille atteignant rarement 1m,52; forme raccourcie du crâne... Cette race doit former une branche du tronc nègre égale en importance à la race papoue. Partout, du reste, la race négrito se présente comme des plus anciennes, peut-être comme la plus ancienne, sur le sol où on en trouve les restes purs ou mélangés. Partout, excepté aux Andamans, elle a été rompue et plus ou moins absorbée par des races plus fortes. Dans l’Inde, comme dans la presqu’île de Malacca, comme aux Philippines, ces contacts ont donné lieu à des mélanges et amené la formation de populations métisses[1]. »

A côté d’eux, comme eux pauvres et misérables, les Manthras, sorte de transition entre les Négritos et les Malais, descendans dégénérés des Salètes, race guerrière dont le descobridor Godinho de Eredia nous a conservé le nom et le souvenir, et qu’il dit avoir été vaincus par une invasion malaise dirigée, en 1411, par le radjah Permicuri. Puis les Bicols, métis d’Espagnols et d’Indiennes, les Tagales, les Bisayas et les Malais de Soulou, mahométans, encore gouvernés par leur sultan et leurs datos, seigneurs féodaux, conservant sous la domination espagnole des pouvoirs assez étendus.

Le sol suffit, et au-delà, à nourrir cette population aux besoins restreints. La terre, très fertile, se prête à toutes les cultures tropicales, surtout à celle du riz, de la canne à sucre et de l’abaca, variété de bananier dont les fibres sont employées à la confection

  1. Les Négritos. — Bulletin de la Société de géographie de mars 1872.