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des troupes en Afrique surpassait du double le chiffre autorisé par la chambre. Naturellement on s’en prenait au maréchal Soult, président du conseil et ministre responsable, et le ministre, naturellement aussi, ne pouvait qu’inviter le gouverneur de l’Algérie à restreindre ses besoins au strict nécessaire. Là-dessus, le général Bugeaud prenait feu, et, non content de répondre, par d’excellens argumens d’ailleurs, au ministre, il voulait gagner à sa cause le plus d’adhérens possible. C’est ainsi qu’au mois de septembre il avait publié une brochure dans laquelle il combattait énergiquement toute réduction de l’armée d’Afrique. Ce procédé incorrect blessa justement le maréchal Soult, qui fit connaître au malencontreux écrivain son mécontentement.

De tous les membres du cabinet, — la remarque en a déjà été faite, — c’était le ministre des affaires étrangères qui avait plus particulièrement la sympathie du gouverneur, a Quand les difficultés naturelles de sa mission, a dit M. Guizot dans ses mémoires, ou celles qu’il s’attirait quelquefois lui-même, le rendaient mécontent ou inquiet, quand il croyait avoir à se plaindre du roi, du ministre de la guerre, des chambres, des journaux, c’était à moi qu’il s’adressait pour épancher ses mécontentemens, ses inquiétudes, et me demander d’y porter remède. » En cette crise, il s’adressa donc à M. Guizot, qui intervint habilement et utilement entre les deux parties. « Je vous ai soutenu dans le conseil et ailleurs, écrivait, le 20 septembre, au gouverneur le ministre des affaires étrangères; je vous ai soutenu toutes les fois que l’occasion s’en est présentée. Vous êtes chargé d’une grande mission et vous y réussissez. C’est de la gloire; vous l’aimez et vous avez raison. Le public commence à se persuader qu’il faut s’en rapporter à vous sur l’Afrique, et vous donner ce dont vous avez besoin pour accomplir ce que vous avez commencé. Je viens de lire ce que vous venez d’écrire; c’est concluant. A votre place, je ne sais si j’aurais écrit; l’action a plus d’autorité que les paroles, mais vos raisonnemens s’appuient sur vos actes. »

Après de si grands éloges, il fallait bien accepter la légère et juste remontrance d’un ami sage, fidèle et puissant. Le général Bugeaud s’y rendit, et la paix fut rétablie entre les deux hommes de guerre qui, sans se douter assurément du voisinage, avaient pris part l’un et l’autre à la bataille d’Austerlitz, l’un caporal aux vélites de la garde, l’autre maréchal de l’empire et commandant du 4e corps.


CAMILLE ROUSSET.