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la troisième; on l’attendit le 9 et le 10; elle n’arriva que dans la journée du 11 ; c’était sur elle que s’était porté l’effort de l’ennemi.

A la nouvelle du péril qui menaçait ses amis surpris par la soudaine invasion des Français dans l’Ouarensenis, Abd-el-Kader qui venait d’enlever chez les Ayad la famille d’Ameur-ben-Ferhat s’était hâté d’accourir, et comme le colonel Korte cheminait à découvert dans la région la plus accessible du massif, il le fit immédiatement attaquer par les Kabyles. La fusillade, engagée le 6 décembre, se prolongea presque sans intermittence jusqu’au 10. Ce dernier jour, l’arrière-garde eut à soutenir un rude combat sur le plateau de Bess-Ness. Un long intervalle la séparait du gros de la colonne SI long que le bruit de l’engagement ne parvenait pas aux corps les moins éloignes. Le lieutenant-colonel de Ladmirault n’avait sous la main que le 2e bataillon d’Afrique du commandant Damesme avec un obusier de montagne. Un coup de feu tua le mulet qui portait l’obusier; la pièce roula dans un ravin; aussitôt les assaillans se précipitèrent pour s’en emparer et la mêlée se fit tout autour. Le capitaine d’artillerie Persac tomba criblé de coups ; mais ses canonniers enlevèrent son corps à l’ennemi et, les zéphyrs aidant parvinrent à ramener l’obusier; il n’y eut que l’affût qui demeura entre les mains des Kabyles. Cependant le lieutenant-colonel de Ladmirault avait fait sonner la charge et battre la générale. Cet appel enfin entendu, grâce à une saute de vent, ramena en arrière quelques compagnies des tirailleurs indigènes et du 53e. A leur approche, l’ennemi se retira, emportant son trophée.

C’étaient les Beni-Ouragh qui avaient surtout combattu dans cette journée. Le 16 décembre, les colonnes de gauche et du centre réunies sous le commandement du général Changarnier, entrèrent dans leurs montagnes par le nord, tandis que le gouverneur et le duc d’Aumale les abordaient à l’ouest et au sud. Ainsi entourés, vieillards, femmes, enfans, troupeaux, sous la protection des guerriers, essayèrent de gagner les rochers escarpés du grand pic; mais, de ce côté-là même, le goum de Sidi-el-Aribi, khalifa du Chélif, leur coupa la retraite. Alors on vit le plus grand chef de l’Ouarensenis, Mohammed-bel-Hadj, s’avancer vers le gouverneur et lui demander grâce au nom de sa tribu : « Pour moi, dit-il, j’avais huit fils; six sont morts en le combattant. J’ai servi le sultan avec zèle; mais il ne peut plus nous protéger, et si tu es humain, je suis à toi pour toujours. La parole d’un Beni-Ouragh est sacrée., Touché par l’attitude et le langage de ce vétéran de la guerre, le général Bugeaud fut généreux ; au lieu de garder en otage celui de ses deux derniers fils que lui offrait le vieillard, il confia au jeune homme la mission de