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le sergent Blandan, répondit à la sommation par un coup de fusil qui abattit le cavalier rouge. Assaillis de toutes parts, les 21 hommes s’étaient formés en cercle; leur feu, sagement ménagé, ripostait à celui de l’ennemi ; mais ils combattaient un contre dix, et l’un après l’autre ils tombaient, ou morts ou blessés. Blandan avait déjà reçu deux balles ; une troisième l’atteignit au ventre : « Courage ! mes amis, s’écria-t-il ; défendez-vous jusqu’à la mort ! » Le sous-aide Ducros, qui avait ramassé un fusil, fit le coup de feu jusqu’au moment où il eut le bras gauche fracassé.

Cependant, au bruit de la fusillade, quelques hommes, cavaliers et fantassins, étaient sortis de Boufarik et de Mered ; à l’approche des chasseurs d’Afrique, accourus à fond de train, les Arabes s’enfuirent, emportant leurs morts et leurs blessés, mais pas une seule tète française. Des 21, 5 seulement étaient encore debout sans blessures, 9 étaient blessés, 7 morts ou atteints mortellement ; de ceux-ci était Blandan, qui expira dans la nuit, à Boufarik. Il avait vingt-trois ans; il était sous-officier depuis trois mois.

Un ordre général signala son nom et celui de ses compagnons d’armes à la reconnaissance publique. « Lesquels, disait le général Bugeaud, ont le plus mérité de la patrie, ou de ceux qui ont succombé sous le plomb, ou des cinq braves qui sont restés debout et qui, jusqu’au dernier moment, ont couvert les corps de leurs frères? S’il fallait choisir entre eux, je répondrais : « Ceux qui n’ont point été frappés ; » car ils ont vu toutes les phases du combat, dont le danger croissait à mesure que les combattans diminuaient, et leur âme n’en a point été ébranlée. Mais je ne veux pas établir de parallèle ; tous ont mérité que l’on garde d’eux un éternel souvenir. » On peut lire à Mered leurs vingt et un noms gravés sur un petit obélisque qui surmonte une fontaine. En 1887, la statue du sergent Blandan a été dressée sur une des places de Boufarik.


IV.

En quittant à Cherchel le général Changarnier, le gouverneur lui avait donné l’ordre de tout préparer à Blida pour concourir au succès d’une opération qui devait être le grand événement de la campagne, la jonction des divisions d’Oran et d’Alger par la vallée du Chélif. C’était un projet que le précédent ministère avait suggéré, en 1840, au précédent gouverneur, mais qu’il était réservé au général Bugeaud d’accomplir, quoiqu’il n’eût pas pour cette conception, selon Changarnier qui s’en attribuait sans droit la paternité, «des entrailles de père. » Il était convenu que les deux divisions partiraient en même temps, l’une de Blida, l’autre de Mostaganem,