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épais envahit la montagne, la neige tombe. Les troupes, qui se sont dispersées pour la razzia, errent à l’aventure ; répercutés par les échos dans tous les sens, les coups de canon, les appels des clairons et des trompettes ne font que les égarer davantage ; les guides eux-mêmes ne s’y reconnaissent plus. Enfin, le soir venu, on finit par se rallier au bivouac indiqué d’avance ; on se compte : il manque une section du 13e léger, commandée par le lieutenant Deligny.

La nuit est horrible et la journée du lendemain encore pire ; trois soldats, une vingtaine de prisonniers sont morts de froid; des cadavres de chevaux, de mulets, de bestiaux jonchent le sol, ensevelis sous la neige ; à tout prix il faut partir. Au moment où le général donne l’ordre de lever le bivouac, une députation des Sdama vient demander grâce, jurant de rompre à jamais avec les Hachem ; femmes, enfans, tentes, bétail, sauf la part dont la colonne a besoin pour vivre, tout leur est rendu. Le soir, en arrivant à Frenda, on voit enfin revenir, guidés par un marabout, le lieutenant Deligny et ses vingt-trois hommes; ils ont erré pendant ces deux jours, presque sans nourriture, mais l’arme haute et le cœur ferme.

Au sommet d’un escarpement rocheux, entourée d’une enceinte égale à celle de Mascara, Frenda occupait une position excellente, mais elle ne contenait guère que des masures. La colonne, cependant, fut trop heureuse d’y trouver un abri ; elle y séjourna le 27, pendant que le général recevait les soumissions des populations environnantes; le 31, elle rentra dans Mascara.

Partie avec des vivres pour dix jours, elle en avait passé vingt-deux en campagne, vivant à l’arabe, de farine bouillie et de galettes cuites aux feux des bivouacs sur le couvercle des gamelles. Narguant les privations et les fatigues, elle avait sans doute ramené quelques éclopés, mais pas un homme qui fût sérieusement malade. En revanche, elle était en haillons. Depuis quatre mois qu’elle courait par monts et par vaux, sous la pluie, à travers la neige, elle avait accroché aux buissons les lambeaux de ses vêtemens et perdu dans la boue les semelles de ses souliers. Le 17 avril, les gens d’Oran eurent le spectacle de ces héroïques déguenillés qui venaient se refaire d’habits et de chaussures. La brigade d’Arbouville, qui avait opéré sans beaucoup de résultats sur la basse Mina et le bas Chélif, remplaçait momentanément, à Mascara, la division La Moricière.

De ce côté, d’ailleurs, il y avait une accalmie. C’était vers Tlemcen qu’Abd-el-Kader portait en ce moment-là ses efforts. La perte de cette ville importante l’avait sensiblement touché, plus que la