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Vues de près, le gouverneur avait trouvé les choses moins belles qu’on ne les lui avait faites. La fortune du nouveau sultan était déjà visiblement en décroissance; pour l’empêcher de tout à fait déchoir, il était urgent de lui porter immédiatement secours. Malgré la pluie, qui ne cessait pas, le général Bugeaud, à la tête d’une colonne active, composée du 26e de ligne, qu’il avait amené d’Alger, de troupes empruntées à la garnison d’Oran, et du maghzen de Moustafa-ben-Ismaïl, se mit en marche, le 24 janvier, dans la direction de Tlemcen. Il avait six cours d’eau à traverser, tous au maximum de la crue. Le plus difficile à passer fut le Rio-Salado. Des arbres furent jetés en travers, et l’infanterie eut l’ordre, en approchant du bord, de faire des fascines. « Ce mouvement, dit le gouverneur dans son rapport, fut très pittoresque et présentait l’image d’une forêt mouvante. Chaque bataillon jeta successivement ses fascines sur les arbres, et bientôt nous eûmes un pont propre à l’infanterie. Quand le dernier bataillon eut passé la rivière, ce pont de branchages se trouva suffisamment fort pour faire passer sans danger nos 500 chameaux, nos 300 mulets, l’artillerie de montagne et le bagage des corps. » Quand on fut sur l’Isser, on n’eut pas la même ressource, il n’y avait pas un seul arbre; mais les eaux étaient moins profondes. Chacun des cavaliers prit un fantassin en croupe ; les mulets des équipages, les chevaux des officiers, y compris ceux du gouverneur, furent employés au passage de l’infanterie, et l’on ne perdit qu’un seul homme. Le général Bugeaud se donna la satisfaction de traverser le champ de bataille de la Sikak, mais il eut le déplaisir de voir le sultan, qui l’avait quitté pour rallier ses partisans, revenir avec une soixantaine de cavaliers en tout et pour tout.

Le 1er février, il entra dans Tlemcen, évacué de la veille par ordre d’Abd-el-Kader. La population, qui grelottait à deux lieues de là dans la neige, ne demandait qu’à rentrer dans ses logis ; elle s’y décida bientôt, sur l’assurance qu’elle serait protégée par une force permanente contre la vengeance de l’émir, qui s’était retiré sur le territoire du Maroc. Pendant que le génie travaillait à mettre le Méchouar et la ville en état de défense, le général alla détruire, à une dizaine de lieues dans le sud, le fort de Tafraoua, nommé plus communément Sebdou, le dernier des arsenaux d’Abd-el-Kader. On en ramena sept pièces de canon, deux desquelles avaient été fondues à Tlemcen. Après avoir été exposés sur la principale place d’Alger aux regards stupéfaits des indigènes, ces trophées, qui ne pouvaient leur laisser aucun doute sur la mauvaise fortune de l’émir, furent envoyés à Paris.

Le général Bedeau, appelé par le gouverneur au commandement