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Villehardouin appelle le « royaume de Vlachie et de Bougrie » et qui était déjà sur son déclin ; — l’Albanie, piétinant sur placé remuante et cependant immobile, indomptée et indomptable prête à suivre un conquérant jusqu’au bout du monde, incapable de se discipliner spontanément pour constituer le noyau d’un empire — puis, entre les Albanais et les Bulgares, une troisième puissance de fraiche date celle-là, qui, depuis un siècle à peine, prenait conscience d’elle-même : le royaume serbe. Il avait eu son moment de gloire et son grand homme, Étienne Douchan, tombé trop tôt sur la route de Constantinople. Les Serbes, fascinés, comme tous leurs congénères, par le vieil empire d’Orient, élevés dans la religion byzantine imitant gauchement les institutions, les cérémonies et jusqu’aux monnaies impériales, essayaient à leur manière de renouveler la sève épuisée de l’ancien monde ; ils avaient, pour cette œuvre de régénération, l’avantage sur les Bulgares, grâce à une position stratégique et politique du premier ordre : le pivot de leur domination était établi dans ces montagnes que nous voyons d’ici sur les plateaux qui s’étendent d’Uskup à Novi-Bazar. Ces plateaux défendus par de nombreux défilés, dominant à la fois les pentes dirigées vers l’Adriatique et les vallées qui s’inclinent vers le Danube reliant les Slaves de la Dalmatie à ceux de la Morava, forment encore une forteresse naturelle dans le centre de la péninsule. À la fin du XIIe siècle, les Serbes se débattaient dans l’anarchie. Ce n’est point impunément qu’ils avaient copié les mœurs féodales de l’Occident Crise de croissance, tâtonnemens inévitables, qui n’auraient point arrête leur essor, si un coup de foudre n’était venu tout à coup briser les ailes à leur ambition.

La voilà donc, cette péninsule d’autrefois : un chaos de peuples les uns vieux, les autres enfans, des moribonds et des adolescens, mais tous éclairés par le rayonnement de Constantinople, chrétiens jusque dans leurs querelles, rêvant tout au plus ce que les Russes devaient réaliser plus tard, une sorte de rajeunissement de l’empire byzantin. Telle une chaîne de montagnes, les unes déjà dévastées, les autres encore incultes, dont la cime se dore au soleil couchant : que peuvent-elles espérer, sinon de voir le même soleil se lever demain pour panser les vieilles blessures ou pour féconder le sillon commencé ?

Les Turcs parurent et l’astre s’éclipsa. On doit admirer ce coup d’œil de soldats et de politiques qui les détourna d’une entreprise immédiate sur Constantinople. Au lieu d’imiter les croisés du XIIIe siècle et de fonder sur le Bosphore un empire éphémère les Turcs marchèrent droit sur ces orgueilleux vassaux, sur les Serbes véritable force de l’empire, qu’ils soutenaient de leur alliance