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social. Elle voudrait que chaque groupe d’indigens, classé par métier, pût trouver à s’occuper dans une branche qui serait celle de sa spécialité : l’industrie des tissus, des cuirs, des travaux du bois, de la sparterie, du fer, de la blanchisserie, de l’alimentation, exercés, soit dans des ateliers, soit à domicile, peuvent porter aide et donner salaire à un nombre considérable d’individus aux abois. Le système de rémunération serait simple : les corps d’état se fourniraient les uns les autres, selon leurs besoins, et le cordonnier recevrait le prix de ses chaussures en bons de vêtemens, de repas ou de meubles. Le nécessaire ne manquerait donc point aux indigens, qui, sans souffrir de la faim ni de privations trop pénibles, pourraient attendre ainsi la venue de jours propices. Ces projets son excellens : prendront-ils corps, et, grâce à leur mise en pratique, pourra-t-on livrer combat à la misère et à la mendicité ? Je l’ignore, mais je le désire. Avec ses ressources étroites et son médiocre fonds de roulement, l’Assistance par le travail a déjà fait beaucoup ; elle a surtout prouvé ce qu’elle saurait faire s’il lui était possible d’étendre son action, et de saisir d’une main secourable les misères iniques et touchantes dont elle a reçu la confidence. Elle ne parviendra jamais à supprimer l’indigence, qui est d’essence sociale, ni à détruire le vice, qui est d’essence humaine ; mais, si elle était en situation d’acquérir l’ampleur dont elle est digne, elle rendrait d’incomparables services aux malheureux, car elle leur fournirait du travail et les mettrait hors des atteintes de l’improbité mendiante, qui vit à leur préjudice en volant les ressources que leur destine la charité.

Ce n’est pas sans raison que je termine cette série d’études par celle que l’on vient de lire. J’ai voulu mettre la bienfaisance en garde contre elle-même ; c’est parce que je connais sa générosité qu’il m’a paru bon de lui montrer le péril auquel elle s’expose en agissant avec trop d’insouciance. Donner une aumône, ce n’est pas faire le bien ; faire le bien, c’est secourir celui qui souffre, qui souffre véritablement, et non pas celui qui feint la souffrance et n’a d’autre malheur, d’autre misère, que son incurable paresse. Tout ce qu’il extorque est enlevé au pauvre ; le sort de celui-ci en devient plus pénible, et la charité elle-même est coupable de n’avoir pas agi avec discernement, car, en se laissant duper, elle a manqué à la mission qu’elle a embrassée avec ardeur, qui est de soulager l’infortune. Vouloir secourir la victime des destins contraires et encourager les instincts mauvais, c’est commettre une regrettable erreur qu’un peu de prudence éviterait. On peut dire cela à Paris sans le blesser, car le nombre des gens pervers qui