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en peaux a été expulsé de son atelier pour avoir participé à une tentative de grève. Il chôme. Il a cinq enfans, par lesquels la mère est si étroitement occupée qu’elle ne peut se livrer à aucun travail rétribué ; la fille ainée, âgée de quinze ans et qui déjà gagnait quelques sous, est condamnée à l’oisiveté par suite d’un accident : elle a eu la main écrasée dans un engrenage. Un terme est dû au propriétaire, qui se fâche et par le de faire vendre le mobilier. La situation est très dure : c’est la misère et le désespoir. La femme se lamente, la fille souffre, l’homme cherche en vain de l’ouvrage, n’en trouve pas et ne peut se résigner à aller en demander à son ancien patron. C’est alors que, munie des largesses du comte de Ch.., l’Assistance par le travail intervient, après enquête qui lui a fait reconnaître la moralité de ce ménage naufragé. La fille blessée reçoit 1 fr. 25 de secours quotidien tant que durera son impotence. Les quatre enfans sont pourvus de linge, de vêtemens et de chaussures ; le terme dû est acquitté, à la condition que l’ouvrier fera sa soumission à l’atelier et y rentrera ; il y rentre. Les renseignemens recueillis sont bons, aussi un second terme est payé entre les mains du propriétaire. L’ouvrier a été prévenu qu’il n’avait qu’à s’adresser à l’Assistance par le travail, qui garde encore 120 fr. à sa disposition dans le cas où quelque nécessité nouvelle s’imposerait. Plusieurs mois se sont écoulés, nulle demande n’est parvenue au directeur. L’œuvre de bien est accomplie, le ménage et les cinq enfans sont sauvés parce que l’aumône n’a pas été seulement donnée, mais administrée, et que l’Assistance a fait acte de conseil judiciaire. Si la somme de 500 francs avait été simplement remise au malheureux qu’elle a tiré de l’infortune, il est bien probable qu’elle l’eût à jamais perdu. La générosité du bienfaiteur et l’intelligence du mode de sauvetage ont, en réalité, arraché sept personnes à la faim et à l’abjection de la mendicité.

Je n’ignore pas qu’il est impossible de surveiller l’emploi des aumônes ; c’est ce que l’Assistance par le travail essaie de faire en en déterminant l’usage, en supprimant, à moins de circonstances exceptionnelles, le don en argent et en le remplaçant par le don en nature : et encore, dans ce dernier cas, est-elle très prudente. Ainsi elle distribue annuellement, en échange des bons acquis par les bienfaiteurs, environ deux cents paires de draps, draps de coton qui probablement ne seront point fatigués par de trop fréquens blanchissages ; en revanche, c’est à peine si elle donne vingt-cinq couvertures, et ne les livre-t-elle qu’à des indigens offrant quelque garantie morale, car elle sait que le plus souvent la couverture sort de ses magasins pour être portée directement au mont-de-piété. La nuit on dort tout habillé, ou, si l’on se met au lit, on se