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qui jamais ne sont distribuées sous forme d’aumône, mais gardent toujours l’apparence d’un gain mérité. Combinaison ingénieuse, très morale, qui satisfait en même temps celui qui donne et celui qui reçoit. Les résultats obtenus sont bons ; sauf de très rares exceptions, — 4 pour 100 environ, — l’indigente reste fidèle à son travail, si celui-ci persiste, prend des habitudes laborieuses et abandonne la quémanderie.

Parfois, surtout pour les femmes, « la paie » se fait moitié en argent, moitié en nature. S’il lui est dû 8 francs, elle recevra, je suppose, deux pièces de 40 sous et, pour le surplus, elle acceptera, — Elle demandera, car elle y a tout bénéfice, — quelque vêtement, ou du savon, ou des légumes secs, ou de l’huile, ou du vin, qu’elle obtiendra là au prix de revient, c’est-à-dire meilleur marché que chez l’intermédiaire. Pour aider à ce genre d’opération que l’on ne propose jamais et qui est presque toujours réclamé, l’Assistance par le travail a émis des bons variant de 5 à 30 francs : « Bon pour un lot de vêtemens ou chaussures de la valeur de… » Il est facile de s’en procurer et de les donner au lieu d’une aumône ; on n’en peut faire trafic chez les marchands de vin ni les échanger contre un verre d’eau-de-vie ; les intentions du bienfaiteur seront donc remplies. Ils ne sont point à dédaigner, ces bons : derrière la carte imprimée, portant le cachet de l’Œuvre, le reçu est inscrit : bon de quinze francs : une paire de souliers napolitains ; une robe pour enfant de trois ans ; une chemise pour garçon de huit ans ; trois mouchoirs ; — bon de trente francs : une paire de souliers napolitains ; une paire de draps, 12 mètres ; un bourgeron de travail ; deux tabliers de femme ; 2 mètres de flanelle grise. Pour cent sous, c’est-à-dire pour le minimum, je vois le récépissé d’un caraco de femme et de trois mouchoirs. Ce système est irréprochable ; la volonté du bienfaiteur est exécutée, et toute tentation est épargnée à l’indigent, qui, neuf fois sur dix, ne peut résister aux promesses que l’argent lui fait de sa voix métallique. J’ajouterai ceci, qui paraîtra peut-être un paradoxe et qui est une vérité que l’observation n’a jamais démentie : tous les indigens sont des prodigues.

On me comprend : leur prodigalité consiste à dépenser en une heure ou en un jour les ressources qui eussent assuré leur existence pendant une semaine. Voici un cas dont j’ai eu connaissance ; je le cite, car il peut servir de type à bien des faits de même nature. Un ouvrier marié, père de deux enfans, est en chômage. C’est un honnête homme, il est de bon renom dans son quartier, il y trouve crédit, car on sait que ce n’est point sa faute s’il n’est pas embauché. Il rencontre un ancien patron auquel il raconte sa misère et qui lui donne 20 francs. C’est une somme ; il va pouvoir payer