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neuves, dont la matière première est fournie par l’Assistance, sont confiées à des cordonniers en chômage. Le fonds de roulement à l’aide duquel on opère, dans les conditions dont j’ai parlé, est plus élevé qu’au début, mais il est encore bien faible, car il ne dépasse pas 20,000 francs. Tel qu’il est, il suffit cependant ; on n’est pas riche, mais on est économe, et l’on parvient, comme l’on dit, à joindre les deux bouts. En ceci comme en tant d’autres choses, hélas ! c’est la caisse qui est la grande maîtresse ; on se dilate ou l’on se restreint, selon qu’elle est plus ou moins riche, et souvent l’on se voit forcé, par quelque pénurie, de renoncer aux projets les meilleurs. Que de fois, en étudiant les œuvres secourables j’ai été saisi de regret en constatant qu’elles n’acquéraient point l’ampleur qui leur serait nécessaire, parce que les ressources leur faisaient défaut, et qu’elles étaient réduites à végéter au lieu de s’épanouir. Ce regret, je l’ai éprouvé à l’Assistance par le travail ; certes l’œuvre fonctionne, elle n’a eu qu’à marcher pour démontrer le mouvement ; mais il est des limites qu’elle n’a pu franchir, et bien souvent elle est obligée de tourner sur place au lieu de s’élancer à travers le vice et la misère pour toucher au but qu’elle a visé, qui est de lutter contre l’indigence en ramenant l’indigent dans la voie du travail. C’est encore Benjamin Delessert qui a dit : « La véritable manière de secourir le pauvre est de le mettre en état de se passer de secours. » Ce qui ne signifie pas qu’il faut l’enrichir, mais simplement qu’il faut le mettre à même de gagner sa vie. C’est ce que l’on tente à l’Assistance et l’on y réussit dans une mesure déterminée par « le capital » dont on dispose.

Le principe sur lequel l’œuvre repose est celui-ci : l’aumône est une cause de démoralisation ; la rémunération du travail est honorable, élève l’âme et la maintient en ligne droite. Donc, il faut substituer le salaire à l’aumône. Est-ce à dire que l’aumône doit être supprimée ? Non, certes, mais elle doit se produire comme supplément d’une rétribution insuffisante et comme encouragement au travail. Si une femme pauvre, dont la misère a été constatée, accepte la besogne de coulure qui lui est offerte par la maison de la rue du Colisée, elle recevra un salaire maximum de 1 fr. 75 ; lorsqu’elle a des enfans dont elle doit s’occuper, elle pourra ne gagner que 1 franc par jour. C’est la rémunération du travail, c’est l’ouvrière que l’on paie, mais ce n’est point l’indigente que l’on aide. Le directeur fait alors intervenir ce qu’il nomme « la compensation. » Au salaire, il ajoute un don de 2, de 3 francs, selon les besoins de la malheureuse ; cet argent est pris dans la caisse de secours où quelques personnes bienfaisantes versent des sommes