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diligence, ils se jetèrent sur le magasin de la rue Delaborde et le mirent au pillage. Ils étaient en nombre, on ne put résister. On leur criait : « Mais ce que vous volez appartient aux pauvres ! » Ils répondaient : « C’est pour cela que nous le prenons ; c’est à nous, puisque nous sommes pauvres. » La maison fut dévalisée. Les vêtemens destinés aux adultes, les layettes réservées aux petits enfans, les draps de lits gardés pour les malheureux et les malades, tout fut enlevé, vendu à quelque brocanteur de bas étage, et bu. Ces gredins se félicitaient de leur exploit et se vantèrent d’avoir « rincé la cambriole ; » on eût bien voulu mettre la main sur les papiers ; mais, sauf quelques registres relatant des entrées et des sorties de marchandises, on ne découvrit rien : les dossiers étaient ailleurs ; l’Œuvre et l’enquête se complètent et s’entr’aident, mais elles sont personnes prudentes et n’habitent point le même domicile.

Le coup était rude et de nature à décourager un homme d’âme indécise. Ce n’est heureusement point le cas du directeur, que l’expérience de la vie a bien trempé et auquel l’attaque même des aigrefins de la mendicité avait prouvé l’utilité de son système. Si les filous avaient tenté de briser violemment son action, c’est que son action était bonne. C’est ainsi qu’il raisonna ; il fit bien, et ne se sentit que plus de vaillance pour continuer l’œuvre qu’il a entreprise et qu’il poursuit avec un désintéressement et une modestie exemplaires, car son nom même n’y est jamais prononcé. Ce ne fut pas du jour au lendemain qu’il réussit à réparer le désastre matériel ; pendant six mois, « la maison » fut fermée. Il lui fallut ce temps, et sans prendre de loisir, pour réorganiser son personnel, réunir les ressources indispensables à l’achat des étoffes, au salaire des ouvrières, et pour trouver un local où l’on put s’installer avec quelque sécurité. En 1879, l’Assistance par le travail, remise de l’alerte récente, renforcée par de nouvelles adhésions, établit ses quartiers charitables rue du Colisée, no 34, non plus dans une boutique de hasard louée à la journée, mais dans un rez-de-chaussée suffisant, dont les fenêtres, munies de barreaux de fer, semblent protégées contre toute agression. Là, du moins, on est chez soi, avec un bail qui assure la jouissance de l’appartement. Deux pièces de dimensions convenables, mais d’une clarté rendue douteuse par la hauteur et la proximité des maisons situées vis-à-vis, servent de magasin et de bureau. Deux coupeuses sont à l’œuvre, taillent le drap, le molleton, la flanelle, et remettent les étoffes ainsi préparées aux femmes indigentes, qui viennent les chercher et touchent leur « paie » dès qu’elles les rapportent. Tous les travaux de couture et de tricot sont faits par les femmes ; quelques chaussures