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une école qui profita, et l’on comprit, ce que l’on eût d’abord dû deviner, qu’en matière de charité ce n’est point aux revendeurs qu’il convient de s’adresser, car pour eux tout ce qui ne garantit pas un gain assuré est de nul attrait. On délaissa les trafiquans de défroques et l’on alla trouver la bienfaisance, celle qui couvre la nudité des pauvres, habille les vieillards admis à l’hospitalité des Petites-Sœurs et des asiles, envoie des layettes aux nouveau-nés et donne des jupons de tricot aux balayeuses des rues. Là, comme déjà je l’ai signalé, la bienfaisance soutint la bienfaisance et lui permit de poursuivre l’œuvre de salut. On put donc continuer, petitement, prudemment, à secourir les malheureuses et à les sauver, en échange d’un travail approprié à leurs forces et rétribué.

Les femmes n’étaient point seules à se présenter à la boutique de la rue Roy, où le directeur se tenait pour ainsi dire en permanence, recevant, interrogeant, accueillant ou évinçant le personnel de l’indigence ; les hommes y venaient aussi, plus difficiles à caser, car ils appartenaient à tous les corps de métiers. L’argent que l’on versait entre leurs mains, « le bon de fourneau, » promptement changé en gros sous, s’en allaient presque toujours au cabaret ; afin de déjouer les ruses de ces aigrefins, dont le seul souci était de mendier pour échapper aux nécessités du travail, on s’entendit avec les personnes généreuses dans l’espoir d’obtenir des renseignemens sur les quémandeurs et de mettre hors d’aumônes ceux qui étaient indignes d’intérêt. C’est ainsi que débuta le service qui, n’étant qu’une simple annexe de l’œuvre, en assure le fonctionnement correct et vraiment secourable. Mû par le désir d’être adjuvant pour les hommes, ainsi qu’on l’était pour les femmes, on imagina une combinaison d’où sortirent des révélations qui furent précieuses, car elles mirent à jour les manœuvres de toute une série d’individus dont l’unique industrie était de « droguer » la charité privée. Avec tout mendiant qui se présente comme un ouvrier sans travail, il est une expérience que j’ai souvent faite et que le directeur n’ignorait pas : je prenais la main de l’homme, et bien rarement j’y ai senti le calus produit par l’outil et le durillon du travail. À la question : « Pourquoi ne faites-vous rien ? » la réponse est uniforme : « Mon état ne va pas, le patron a congédié la moitié de ses ouvriers ; pour gagner ma vie, je ne reculerais devant rien, je casserais des pierres si l’on veut, ou je serais laveur de vaisselle. » Tout ceci n’est qu’imposture : mendicus, mendax. En résumé, on peut traduire : « Donnez-moi cent sous. » Le directeur savait cela et bien autre chose encore ; mais comme un ouvrier brave et désemparé pouvait avoir été fourvoyé, par les circonstances, au milieu de ce mauvais monde, il tenta un essai d’où