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de n’être pas ému. Or le directeur avait l’âme compatissante et d’autant plus accessible à la pitié, qu’il repoussait les faux indigens ; en outre, depuis longtemps, il s’était pénétré de la vérité de cette maxime proférée jadis par Benjamin Delessert : « L’homme bienfaisant n’est pas celui qui donne le plus, mais celui qui donne le mieux. » Les femmes qui s’adressaient à lui ne sollicitaient point d’aumônes : elles réclamaient un gain légitime en échange du labeur qu’elles recherchaient près de lui, parce qu’elles ne le trouvaient point ailleurs. Il résolut de leur venir en aide. Il retourna chez les personnes qui, pendant la guerre, avaient si souvent délié les cordons de leur bourse, il leur parla des misères intéressantes qui l’invoquaient, il leur exposa le projet qu’il méditait depuis déjà longtemps ; il recueillit auprès d’elles quelques souscriptions, s’imposa un sacrifice individuel, et, avec des ressources bien minimes, se mit en devoir de débuter dans son œuvre nouvelle.

Il ne s’agissait point de distribuer des aumônes, ce qui est toujours facile, mais ce qui crée la mendicité, l’entretient et enlève des bras valides au travail. Le résultat poursuivi devait être tout autre. On ne refusait pas des secours aux chétifs, aux malades, aux impotens ; mais à ceux-là seuls on donnait l’offrande en argent ; pour les autres, l’aumône devenait un salaire, le salaire de la besogne acceptée et accomplie. Comme l’on avait surtout affaire à des femmes, on installa un atelier de couture. Dans la rue Roy, on découvrit une boutique non occupée que l’on put louer pour 2 francs par jour ; on s’y établit et l’on commença, à la grâce de Dieu, sans trop savoir si toute espérance ne serait pas déçue. Le directeur, dont le nom est connu et respecté dans le commerce parisien, acheta, un peu au comptant et beaucoup à crédit, du drap commun, du madapolam, du molleton. Il engagea deux coupeurs qui taillèrent les étoffes et firent exécuter des chemises, des jupes, des caracos, des bourgerons. L’indigente devenait ouvrière ; elle était payée aux pièces, et trouvait ainsi l’occupation et le pain de la journée ; celle qui était de bon vouloir rentrait dans les rangs laborieux et abandonnait la quémanderie. Une somme de 4,000 francs fut employée à ce premier essai. Or ces 4,000 francs devaient représenter un fonds de roulement inépuisable, dépensé par l’achat et le salaire, renouvelé par la vente. On ne cherchait aucun bénéfice ; cependant le placement des objets fabriqués offrit de graves difficultés. Il faut reconnaître qu’ils avaient été confectionnés par des mains inhabiles et qu’ils ne sortaient pas de chez « la bonne faiseuse. » Les brocanteurs, les marchands d’habits dépréciaient la marchandise qu’on leur offrait, et, sans politesse, traitaient de guenilles les vêtemens qu’on leur proposait. Là on fit