Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/328

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

À la mairie, où le directeur surveillait la répartition des aumônes, on avait établi une manufacture de vêtemens destinés aux gardes nationaux et aux mobiles, qui recevaient des vareuses, des capotes, des gilets et des ceintures de flanelle, que l’hiver, devenu rigoureux, rendait indispensables à des hommes exposés au froid et à l’humidité des factions nocturnes. Or les ouvrières étaient rares à l’atelier de couture, tandis que la foule des femmes s’entassait à la porte du bureau, où la bienfaisance donnait sans condition. C’était là une anomalie dont on fut frappé, et un double inconvénient auquel on voulut remédier en employant l’offrande de la charité à rémunérer un travail utile. Il fut décidé que les secours gratuits seraient, en l’espace de huit jours, supprimés aux femmes valides ; en revanche, on offrait du travail à toutes celles qui, sachant coudre, voudraient participer à la confection des vêtemens militaires. Cette mesure eut pour résultat immédiat de diminuer de plus de moitié le nombre des quémandeuses et d’augmenter dans de notables proportions celui des ouvrières. Quant aux femmes impotentes ou infirmes, on les accueillit comme par le passé. Ce fut cette expérience qui fit naître l’idée de créer une œuvre d’assistance par le travail, de façon à décourager les fainéans qui se plaisent dans la mendicité et à fournir un moyen d’existence honorable aux malheureux qui veulent lutter contre le sort contraire. Le projet ne put être réalisé sans délai. Après la guerre et les privations vinrent la commune, les orgies, le pétrole et l’assassinat. Toute administration régulière s’était réfugiée à Versailles, et pendant deux mois, Paris fut livré aux meurtriers. Lentement, la ville sortit de ses ruines et répara les désastres qu’elle devait à ses propres enfans, jaloux de prouver qu’ils auraient pu défendre leur patrie s’ils n’avaient préféré la détruire.

Les fonctionnaires de la mairie s’étaient dispersés et avaient été remplacés au gré de l’administration nouvelle, éclose sous le gouvernement de M. Thiers. Le directeur était retourné à ses occupations, songeant toujours à l’œuvre qu’il avait entrevue et s’en remettant à l’avenir pour trouver la solution du problème. Ce fut l’hiver de la fin de 1871 qui vint, pour ainsi dire, le relancer et le sommer de donner corps à son idée. Sa bonté, son activité intelligente et pratique, alors que, pendant la période d’investissement, il était le grand-maître de la bienfaisance, l’avaient rendu populaire dans son arrondissement ; aussi, dès que les premiers froids de novembre s’accentuèrent, bien des ouvrières pauvres et en chômage vinrent le trouver, lui raconter leurs peines et lui demander du travail. Lorsque l’on a vu la vraie misère, que l’on a été en contact avec elle, il est difficile, pour peu que l’on ait le cœur bien placé,