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de se débarrasser des devoirs charitables, il faut les remplir avec conscience et, s’il se peut, avec sagacité. Le bien est très difficile à faire, je le reconnais, et il est impossible d’arriver à ce que l’aumône ne s’égare jamais, et c’est cependant là le but que la charité, — j’entends la charité vraie, j’entends celle qui donne pour être utile et non pour être louée, — doit chercher à atteindre. Le problème est ardu et douloureux, car avoir la bienfaisance aveugle, c’est nuire à la misère. Ce problème, un homme dont le bon vouloir est touchant a essayé de le résoudre ; il sait ce que c’est que le travail : il gagnait sa vie à l’âge de quatorze ans, il a vécu dans le monde des ouvriers, et s’il en est sorti à force de rectitude et d’énergie, il se souvient de ses origines. Par fonction et dans des circonstances cruelles, il a été distributeur de secours ; il a vu la plèbe affamée se presser autour de lui ; il a regardé attentivement la misère qui défilait sous ses yeux ; il a distingué la vraie de la fausse. Dès lors, mû par un sentiment de compassion et de justice, il a tout tenté pour secourir l’une et pour arracher le masque de l’autre. Son procédé est simple : il offre du travail ; ceux qui le fuient, et c’est le plus grand nombre, il sait dans quelle catégorie il convient de les classer. Pour exercer une action sérieuse sur les mendians, pour éclairer la bienfaisance, il a fondé l’Assistance par le travail ou la Charité efficace. Son rêve est de diminuer l’indigence en faisant travailler l’indigent. Le réalisera-t-il ? Je ne sais ; mais je puis dire les efforts qu’il n’a pas épargnés et les résultats qu’il a déjà obtenus.

J’aurais voulu prononcer son nom, car c’est celui d’un homme de bien ; je ne le puis : des motifs devant lesquels j’ai dû m’incliner ne me le permettent pas. Cependant il est indispensable de le désigner, ne serait-ce que pour éviter toute confusion dans la suite de cette étude ; je l’appellerai donc le directeur : si ce n’est son nom, c’est son titre.


II. — LA CHARITÉ EFFICACE.

Cette œuvre est née au jour des grandes infortunes, alors que Paris forclos du monde extérieur était investi par les armées allemandes qui attendaient avec impatience que la faim, la maladie, la misère et la mort eussent forcé la ville entêtée à baisser ses ponts-levis. Un bombardement d’autant plus cruel qu’il fut inutile ne hâta pas d’une seconde le dénoûment que la famine seule pouvait amener. On peut comprendre à quel degré de souffrance la population se résigna sans se plaindre, en compulsant les tables de la mortalité parisienne dont le total mensuel ne dépasse point 5,000. Or, octobre 1870 donne déjà 7,543 ; novembre, 8,238 ; décembre,