garde d’une pareille assertion ; elle serait fausse, et par cela même périlleuse, car elle pourrait fermer la main près de s’ouvrir pour soulager une infortune réelle. Les exceptions sont rares, je le reconnais, mais elles existent poignantes et dignes de tout intérêt. Ceux qui, dans le monde de la misère, échappent à la dépravation morale que produit l’aumône facilement obtenue ne sont pas nombreux. L’entraînement est naturel à l’homme ; il le subit d’abord, puis il s’y abandonne sans savoir où il sera mené, et l’habitude devient un besoin qui se tourne en passion. C’est le fait de ces vieux porte-besace haillonneux, décrépits et sordides qui meurent sur des sacs d’or qu’ils ont ramassés sou à sou. On les accuse d’avarice, et l’on a tort : ils étaient simplement atteints de mendicité maniaque, ce qui est une volupté.
Des malheureux qui ont écrit ou récité leurs lamentations n’ont point menti ; on les a aidés, on les a sauvés. Ils ont non-seulement résisté à la misère, ce qui est bien, mais ils ont résisté à l’aumône, ce qui est mieux. J’en connais et je pourrais citer quelques administrations privées, quelques grandes maisons de commerce où ils ont été accueillis sur recommandation et où jamais l’on n’a eu un reproche à leur adresser. J’en sais un qui avait été éconduit ; pour regagner l’escalier de service, il traversa la cuisine où les domestiques déjeunaient. Il se mit à pleurer en disant : « J’ai faim. » On le fit asseoir, on le servit. Le valet de chambre vint trouver son maître et lui raconta le fait. Trois jours après, l’affamé était placé : expéditionnaire comptable à 1,500 francs. Voilà de cela quatre ans ; sa situation, méritée par sa conduite et son assiduité, équivaut à peu près à celle d’un sous-chef de bureau. Son traitement est de 3,500 francs ; il les gagne. Il a payé ses dettes et vit heureux entre sa femme et son enfant. Plutôt que de repousser un tel homme, il vaut mieux s’exposer à donner son argent à dix coquins, je le sais ; mais l’inconvénient est grave dans les deux cas, et cet inconvénient, on peut l’éviter. Comment ? En faisant une enquête et en n’étant généreux qu’à bon escient, quitte à l’être avec prodigalité et surtout à prendre quelque peine pour procurer du travail à qui en demande et en est digne. Ce n’est ni long ni difficile, et je m’expliquerai.
La plupart des gens riches, je ne l’ignore pas, croient avoir pris toute précaution en remettant de l’argent à un domestique qui va visiter « le pauvre, » recueille quelques renseignemens et lui donne l’aumône, — s’il la lui donne, — lorsque le quémandeur lui paraît intéressant. Dans plus d’une occasion, l’aubaine est partagée ou tout au moins récompensée par « un canon » offert chez le marchand de vin : politesse qui ne se refuse jamais et qui assure au mendiant le bon vouloir, sinon la complicité du porte-livrée. Il ne s’agit pas