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sont restées sans réponse. Bien m’en a pris. Un personnage riche, ayant reçu des lettres analogues, avait déjà plusieurs fois envoyé des aumônes. Les demandes se répétant, il fut pris de doute sur tant de vertu alliée à tant de malheur, et, un soir, il se fit conduire au garni indiqué par le solliciteur, qui n’était pas au logis. Comme le bienfaiteur se retirait par un couloir étroit, il se rangea pour n’être point heurté par un couple ivre, qui battait la muraille en se dirigeant vers l’escalier. Quoiqu’il s’effaçât de son mieux, il fut frôlé par la femme, qui l’apostropha : « Tu ne peux donc pas faire attention, espèce de marsouin ! » l’homme, en vrai chevalier français, s’arrêta : « Qu’est-ce qu’il t’a fait, cet animal-là, que je lui casse la figure ! » Le bienfaiteur s’éloigna sans répondre, songeant avec tristesse aux voisins déplorables qui troublaient son protégé dans la préparation de la communion pascale. Le garçon du garni vint à lui : « c’est là M. X…, que vous demandiez. » Le choc fut dur. « Est-ce qu’il est marié ? » — « Oh ! non ; mais il se marie de temps en temps, comme ça se trouve. » Le bienfaiteur fut édifié et pour toujours : Sancta Dei genitrix, ora pro nobis !

Je reçus un jour une lettre assez touchante, de ferme écriture et de bonne orthographe ; les explications que l’on me donnait ne s’éloignaient guère de celles que je connaissais depuis longtemps : chômage, difficulté de trouver un emploi, misère lancinante, menace d’être expulsé du garni. Au-dessous de l’adresse, qui indiquait un des endroits les plus mal famés de Paris, on avait ajouté et souligné : « où je ne pourrai probablement rentrer ce soir, monsieur, qu’avec l’aide de votre bienveillante aumône. » Il est pénible de se dire que faute d’un secours un homme peut être exposé à passer la nuit à la belle étoile en plein hiver. Je fis remettre de quoi vivre pendant plusieurs jours. Le quémandeur eut une défaillance de mémoire, car, deux mois après, il déposa chez moi une lettre accompagnée du même post-scriptum qui m’avait ému. Je m’enquis de l’individu : il fait métier de mendicité et il en vit assez confortablement. C’est un ancien percepteur des finances qui a quitté son administration pour des motifs que j’ignore, qui dupe les gens, recule devant le travail et ne manque point d’esprit pour tromper la charité.

Quelques-uns écrivent eu prose ou en vers, ad libitum ; ils « tournent » le couplet, ils façonnent le dithyrambe, ils s’élèvent jusqu’à l’ode, toujours sur le même thème : « Un petit sou, s’il vous plaît ! » Ceux qui exercent le métier de cette manière en sont les Crésus ; l’un d’eux excelle à entremêler ses phrases de strophes plus ou moins bien rimées. Il ne se contente pas de solliciter, il met en demeure et ne manque point d’impertinence ; il écrit à l’un de