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catholiques, Israélites ou protestans. L’un d’eux, né en Suisse, et que l’on devrait reconduire à la frontière en vertu du second article de la loi de vendémiaire an II, a exploité le monde de la religion réformée de 1880 à 1885 ; il a tant saigné la veine qu’elle s’est épuisée, et alors il a été touché de la grâce, car il s’est brusquement converti à la mendicité envers le catholicisme. J’ai sous les yeux trente-deux lettres de lui, sans compter une demi-douzaine qu’il m’a fait l’honneur de m’adresser sous trois noms différens, mais avec des formules semblables qui dénoncent chez lui quelque stérilité d’imagination. Sa piété est extrême et faite pour toucher les cœurs les plus endurcis. Que l’on en juge : « Sancta Dei genitrix, ora pro nobis ! Au nom du Dieu d’amour et de charité, je viens faire appel à votre grande générosité et solliciter votre noble cœur. » Une demande d’emploi qu’il a fait parvenir aux administrations publiques est apostillée par des sénateurs, par des conseillers municipaux, par le maire du *** arrondissement. Mais, en attendant la réponse, qui ne peut être que favorable, il est obligé de loger en garni, en « chambrée, dans un hôtel à la nuit où je n’entends parler que de vol et d’assassinat ; c’est pour moi un vrai suicide moral. Ce qui me soutient, c’est la méditation des belles paroles prononcées par le regretté Mgr Dupanloup. » Suit une citation qui n’a aucun rapport avec l’objet de la lettre. Habiter en chambrée, « au milieu de futurs criminels et de repris de justice, me rend matériellement impossible d’accomplir cette année dignement mes devoirs religieux, à l’occasion des belles fêtes de Pâques. » Il ne peut se recueillir et se préparer a célébrer les saints mystères de notre religion vénérée qu’en louant un cabinet où il restera seul vis-à-vis de sa conscience. Il demande qu’on lui paie le premier mois de loyer : coût, 30 francs, « qu’il espère trouver chez le concierge en venant chercher la réponse. » Cette réponse et cette avance, on ne les lui refusera pas, à lui qui chaque jour récite la prière qu’il a composée :


J’ai soif de ta présence
Divin chef de ma foi,
Dans ma faiblesse immense
Que ferais-je sans toi ?


Puis il termine : « Dans l’espoir d’un bon accueil, je fais des vœux pour que Dieu vous accorde, monsieur et honoré maître, des jours purs comme le beau printemps, et que votre belle vie, remplie de bonnes œuvres, coule paisiblement comme un limpide ruisseau à travers une plaine fleurie. » j’avoue la sécheresse de mon cœur : ces calembredaines ne m’ont jamais touché, et les lettres de ce catholique