gens de noblesse minés par le jeu et qui mendient afin de se mieux conformer à l’adage coupable : qui travaille déroge ; des négocians qui ont trop compté sur leur capacité ou sur leur crédit ; d’anciennes femmes galantes qui jouent les veuves éplorées et qui n’ont rien su conserver des prodigalités offertes au plaisir vénal ; j’y vois un spécimen de toutes les défaillances, et c’est à peine si, çà et là, j’y découvre quelques êtres intéressans que l’infortune a frappés et qui n’ont pu résister aux duretés du sort.
Ces individus portent un nom dans le langage des chevaliers du méfait, qui les connaissent et les fréquentent : on les appelle les francs-bourgeois ou les drogueurs de la haute. D’un mot français, ce sont des escrocs. Pour tromper la bonne foi, abuser de la compassion, arracher l’aumône aux personnes charitables, tout prétexte est bon, tout mensonge est utilisé. Je les trouve plus méprisables que les voleurs, car le voleur risque sa liberté toujours et parfois son existence. Eux ne s’exposent qu’à une rebuffade ; nul péril ne les menace, ils « travaillent » en sécurité, sans vergogne, mais sans peur ; car ce ne sont pas les riches qu’ils volent, ce sont les malheureux, en pillant le budget de la charité, en diminuant la part que la bienfaisance réserve à ceux qui souffrent. Le préjudice que cette aristocratie de la mendicité cause aux vrais misérables, à ceux qui sont dignes de secours, est incalculable. Avec ce qu’ils reçoivent, on fonderait plus d’une œuvre dont pourraient profiter l’infirmité, l’indigence et la vieillesse ; car la moyenne de ce qu’ils enlèvent à la charité, à force d’astuce et de mensonges ne s’éloigne guère de la somme de six millions ; six millions extorqués à la crédulité, — à la naïveté parisienne, — qui ne sait se protéger contre elle-même, quelle fortune de bienfaits entre des mains intelligentes et désintéressées ! Bien faire l’aumône est un art ; lorsqu’on ne le possède pas, il arrive trop souvent qu’au lieu de porter aide au malheur, on encourage la paresse et l’on nourrit l’oisiveté.
Cet inconvénient est grave, non point parce que les gens riches font sortir quelque argent de leur bourse, mais parce qu’ils donnent mal et qu’ils versent entre des mains indignes l’offrande qu’ils voulaient garder pour de sérieuses infortunes ; double inconséquence qui augmente le nombre des malheureux et le nombre des fainéans. Un homme a essayé et essaie avec persévérance de remédier à cet état de choses, et il a créé une œuvre de secours où l’aumône n’est plus un don gratuit et devient la rémunération du travail ; mais pour n’être point trompé par des manœuvres frauduleuses, il y a adjoint un service de renseignemens. Son but est de relever l’individu abattu par la fortune adverse en lui procurant un labeur qui doit, s’il est probe, lui interdire de tendre la main, et