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règne ; il lui commande des sénatus-consultes dont il a besoin. Par cette comédie qu’il fait jouer en haut, et par une autre comédie complémentaire, le plébiscite, qu’il fait jouer en bas, il transforme son consulat de dix ans en consulat à vie, puis en empire, c’est-à-dire en dictature définitive et légale, pleine et parfaite. De cette façon, la nation est livrée à l’arbitraire d’un homme qui, étant homme, ne peut manquer de songer avant tout à son intérêt propre. Reste à savoir jusqu’à quel point et pendant combien de temps cet intérêt, tel qu’il le comprend ou l’imagine, sera d’accord avec l’intérêt public. Tant mieux pour la France, si cet accord est complet et permanent. Tant pis pour la France, si cet accord est partiel et temporaire. Le risque est terrible, mais inévitable : on ne sort de l’anarchie que par le despotisme, avec la chance de rencontrer, dans le même homme, d’abord un sauveur, puis un destructeur, avec la certitude d’appartenir désormais à la volonté inconnue que le génie et le bon sens, ou l’imagination et l’égoïsme, formeront dans une âme enflammée et troublée par les tentations du pouvoir absolu, par l’impunité et par l’adulation universelle, chez un despote irresponsable sauf envers lui-même, chez un conquérant condamné par les entraînemens de la conquête, à ne voir lui-même et le monde que sous un jour de plus en plus faux. — Tels sont les fruits amers de la dissolution sociale : la puissance publique y périt ou s’y pervertit ; chacun la tire à soi, personne ne veut la remettre à un tiers arbitre, et les usurpateurs qui s’en emparent n’en restent les dépositaires qu’à condition d’en abuser ; quand elle opère sous leurs mains, c’est pour faire le contraire de son office. Il faut se résigner, faute de mieux et crainte de pis, lorsque, par une usurpation finale, elle tombe tout entière dans les seules mains capables de la restaurer, de l’organiser et de l’appliquer enfin au service public.


VII.

Quel est le service que la puissance publique rend au public ? — Il en est un principal, la protection de la communauté contre l’étranger et des particuliers les uns contre les autres. — Évidemment, pour rendre ce service, il lui faut, dans tous les cas, les outils indispensables, à savoir une diplomatie, une armée, une flotte et des arsenaux, des tribunaux civils et criminels, des prisons, une gendarmerie et une police, des impôts et des percepteurs, une hiérarchie d’agens et de surveillans locaux, qui, chacun à sa place et dans son emploi, concourent tous à produire l’effet requis. — Évidemment encore, pour appliquer ces outils, il lui faut, selon les