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paysans, et les survivans s’en souviennent. — Dans les douze départemens de l’ouest[1], au commencement de 1800, les royalistes étaient maîtres de presque toutes les campagnes et disposaient de 40,000 hommes armés, ayant des cadres ; sans doute, on allait les vaincre et les désarmer ; mais on ne pouvait pas leur ôter leurs opinions comme leurs fusils. — Au mois d’août 1799[2], 10,000 insurgés de la Haute-Garonne et des six départemens voisins, conduits par le comte de Paulo, avaient arboré le drapeau blanc; tel canton, celui de Cadour, « s’était levé presque entier; » telle ville, Muret, avait donné tous ses hommes valides. Ils avaient pénétré jusqu’aux faubourgs de Toulouse, et il avait fallu plusieurs combats, une bataille rangée, pour les réduire; en une seule fois, à Montréjeau, on en avait tué ou noyé 2,000; les paysans s’étaient battus avec fureur, « avec une fureur qui tenait du délire; » — on en avait vu faire entendre jusqu’au dernier soupir le cri de : Vive le roi! et se faire hacher plutôt que de crier : Vive la république! » — De Marseille à Lyon, sur les deux rives du Rhône, la révolte durait depuis cinq ans, sous la forme du brigandage; les bandes royalistes, grossies de conscrits réfractaires et favorisées par les populations qu’elles ménageaient, tuaient ou pillaient les agens de la république et les acquéreurs de biens nationaux[3]. Dans plus de trente autres

  1. De Martel, les Historiens fantaisistes, 2e partie (sur la Pacification de l’Ouest, d’après les rapports des chefs royalistes et des généraux républicains).
  2. Archives nationales, F7, 3218. (Résumé des dépêches classées par dates. — Lettres de l’adjudant-général Vicose, 3 fructidor, an VII. — Lettres de Lamagdelaine, commissaire du Directoire exécutif, 26 thermidor et 3 fructidor, an VII.) — « Les scélérats qui ont égaré le peuple lui avaient promis, au nom du roi, qu’il ne paierait plus de contributions, que les conscrits et les réquisitionnaires ne partiraient pas, enfin qu’il aurait à sa disposition les prêtres qu’il voudrait. » — Près de Montréjeau, le carnage a été affreux, 2,000 hommes tués ou noyés, 1,000 prisonniers. » — (Lettre de M. Alquier au premier consul, 18 pluviôse, an VIII.) « L’insurrection de thermidor a fait périr 3,000 cultivateurs.» — (Lettres des administrateurs du département et des commissaires du gouvernement, 25 et 27 nivôse, 13, 15, 25, 27 et 30 pluviôse, an VIII.)— L’insurrection se prolonge par un très grand nombre d’attentats isolés, coups de sabre et de fusil, contre les fonctionnaires et les partisans de la république, juges de paix, maires, adjoints, employés au greffe, etc. Dans la commune de Balbèze, 50 conscrits, qui ont déserté avec armes et bagages, imposent des réquisitions, donnent des bals le dimanche et se font remettre les armes des patriotes. Ailleurs, tel patriote connu est assailli dans son domicile par une bande de dix ou douze jeunes gens qui le rançonnent et le forcent à crier : «Vive le roi! etc. » — Cf. Histoire de l’insurrection royaliste de l’an VII, B. Lavigne, 1887.
  3. Archives nationales, F7, 3273 (Lettre du commissaire du Directoire exécutif près le département de Vaucluse, 6 fructidor, an VII) : « 80 royalistes armés ont enlevé, près du bois de Suze, la caisse du percepteur du Bouchet, au nom de Louis XVIII. Il est à remarquer que ces scélérats n’ont pas touché à l’argent qui appartenait en propre au percepteur.» — (Ibid, 3 thermidor, an VII.) «Si je promène mes regards sur nos communes, je les vois presque toutes administrées par des municipaux royalistes ou fanatiques; c’est l’esprit général des paysans... L’esprit public est tellement perverti, tellement opposé au régime constitutionnel, que ce n’est que par une espèce de miracle qu’on pourra le ramener au giron de la liberté. » — Ibid. F7, 3199. (Documens analogues sur le département des Bouches-du-Rhône.) Les attentats s’y prolongent jusque très avant sous le consulat, malgré la rigueur et la multitude des exécutions militaires. — (Lettre du sous-préfet de Tarascon, 15 germinal, an IX) : « Dans la commune d’Eyragues, hier, à huit heures, une troupe de brigands masqués ayant cerné la maison du maire, quelques-uns sont entrés chez ce fonctionnaire public et l’ont fusillé sans qu’on ait osé lui donner aucun secours... Les trois quarts des habitans sont royalistes à Eyragues. » — Dans la série F7, 7152 et suivantes, on trouvera l’énumération des délits politiques classés par département et par mois, notamment pour messidor, an VII.