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l’autre; alors, entre les deux élus, le gouvernement choisissait, arbitrairement et toujours avec une partialité impudente; bien mieux, s’il n’y avait qu’un élu et que cet élu fût son adversaire, il le cassait. En somme, depuis neuf ans, le corps législatif, imposé à la nation par une faction, n’était guère plus légitime que le pouvoir exécutif, autre usurpateur, qui, dans les derniers temps, le remplissait ou le purgeait. Impossible de remédier à ce défaut de la machine électorale ; il tenait à sa structure intime, à la qualité même de ses matériaux. À cette date, même sous un gouvernement impartial et fort, la machine n’aurait pu fonctionner utilement, extraire de la nation une assemblée d’hommes raisonnables et respectés, fournir à la France un parlement capable de prendre la part qui lui revient, ou même une part quelconque dans la conduite des affaires publiques.

Car supposez chez les nouveaux gouvernans une loyauté, une énergie, une vigilance extraordinaires, un prodige d’abnégation politique et d’omniprésence administrative, les factions contenues sans que la discussion soit interdite, le pouvoir central neutre entre tous les candidats et pourtant actif dans toutes les élections, point de candidature officielle, nulle pression d’en haut, nulle contrainte par en bas, des commissaires de police respectueux et des gendarmes protecteurs à la porte de chaque assemblée électorale, toutes les opérations régulières, aucun trouble dans la salle, les suffrages parfaitement libres, les électeurs très nombreux, cinq ou six millions de Français autour du scrutin; et voyez quels choix ils vont faire. — Depuis fructidor, le renouvellement de la persécution religieuse, l’excès de l’oppression civile, la brutalité et l’indignité des gouvernans ont redoublé et propagé la haine contre les hommes et les idées de la révolution. — Dans la Belgique récemment incorporée, où le clergé séculier et régulier vient d’être proscrit en masse[1], une grande insurrection rurale a éclaté. Du pays de Waes et de l’ancienne seigneurie de Malines, le soulèvement s’est étendu autour de Louvain jusqu’à Tirlemont, ensuite jusqu’à Bruxelles, dans la Campine, dans le Brabant méridional, dans la Flandre, le Luxembourg, les Ardennes et jusque sur les frontières du pays de Liège : il a fallu brûler beaucoup de villages, tuer plusieurs milliers de

  1. La Révolution, III, 601, 617. — Mercure britannique, numéros de novembre 1798 et de janvier 1799. Lettres de Belgique.) — « Plus de 300 millions ont été ravis à main armée à ces provinces désolées; pas un propriétaire dont la fortune n’ait été ou enlevée, ou séquestrée, ou ruineusement endommagée par les contributions, par la grêle des taxes qui leur ont succédé, par les vols mobiliers, par la banqueroute dont la France a frappé les créances sur l’empereur et sur les états, enfin par la confiscation. » — L’insurrection éclate, comme en Vendée, à propos de la conscription, et la devise des insurgés est : « Mieux vaut mourir ici qu’ailleurs. »