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qui ont naturellement leurs conséquences, et entre ces deux politiques plus que jamais en présence, la présidence nouvelle peut aisément choisir si elle veut être pour la France un gage de pacification et de réparation.

Ce n’est pas dans les affaires de l’Europe que les années changent la condition générale des choses. Les incidens peuvent se succéder naître ou disparaître : la situation reste ce qu’elle était, obscure et douteuse, placée sous la sauvegarde des armemens gigantesques auxquels toutes les puissances demandent la garantie de leur sécurité ou de leurs intérêts. On vit en désirant la paix, en protestant qu’on ne veut que la paix, et en se préparant à la guerre, en redoublant de surveillance jalouse et d’activité, comme si on se sentait toujours à la veille du conflit où viendront se résoudre tous les problèmes qui s’accumulent depuis longtemps. L’année qui finit aujourd’hui aura eu sans doute le privilège d’être encore une année de trêve, de n’être troublée du moins que par des crises momentanées, par des incidens promptement et heureusement dénoués. L’année qui s’ouvre reste une énigme. La question est de savoir si la paix, qui est dans le vœu des peuples, sera plus forte que la terrible logique qui est au fond des situations troublées. C’est le doute qui renaît sans cesse et tient l’Europe en alerte, qui s’est réveillé plus que jamais depuis quelques semaines au milieu de tous les bruits des polémiques de journaux, des explications, des récriminations et des controverses. Ce n’est plus la France qui est en cause pour le moment, qui est accusée de troubler le monde! le prétexte est venu, cette fois, des dispositions militaires de défense que la Russie a cru devoir prendre en Pologne, sur ses frontières de l’ouest, et qui ont excité une certaine émotion dans les deux empires voisins, à Vienne comme à Berlin. A Vienne on a répondu, non par des demandes d’explications qui auraient pu être dangereuses, mais par des délibérations de conseils militaires, par des préparatifs plus ou moins secrets. A Berlin, on a fait partir en toute hâte l’ambassadeur d’Allemagne, M. de Schweinitz, pour Saint-Pétersbourg, — Et, en attendant, les journaux ont ouvert le feu contre la Russie. Un jour la panique est partout, un autre jour elle s’apaise pour se raviver le lendemain. On en est encore là plus ou moins, et c’est avec cette perspective d’un conflit toujours possible, sinon immédiatement menaçant, que l’Europe va entrer dans une année nouvelle.

Au fond, quel est le secret, quelle est la signification précise de cette augmentation des garnisons russes en Pologne, de ces mouvemens de troupes devenus le prétexte d’une agitation toujours périlleuse? On cherche bien loin les causes de cet accroissement des forces du tsar sur la Vistule: elles n’ont rien de mystérieux, elles sont dans les faits qui se développent depuis quelque temps, dans la situation qu’on a