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encore toutes les apparences d’une autorité respectée et paraissait si sûre de son inviolabilité. Un jour est venu cependant où le torrent des délations et des infamies s’est déchaîné, est monté jusqu’à l’Elysée, et où M. Jules Grévy, menacé d’être submergé, abandonné par l’opinion, par la chambre, par le sénat lui-même, n’a plus pu se dégager que par une abdication forcée. M. Grévy est aujourd’hui dans la retraite, où il peut méditer sur ce que valent les partis. Il n’a pas eu certainement la prévoyance, l’esprit d’à-propos et la résolution nécessaires dans la position difficile qui lui était faite, surtout aux derniers momens de son pouvoir. Il a été un peu aussi, il faut l’avouer, la victime des circonstances; mais, dans tous les cas, il y a deux choses que n’ont pas vues ceux qui ont mis le plus de violence à précipiter la chute du dernier président. La première, c’est qu’ils brisaient d’un seul coup l’inviolabilité de la constitution, et que ce qu’ils appelaient la crise d’une présidence était fatalement la crise de la république elle-même, atteinte dans sa stabilité légale, livrée désormais à tous les caprices des partis. Ce qu’on n’a pas vu de plus, c’est que, s’il y avait tous ces marchés honteux, ces trafics de faveurs, ces captations, ces corruptions qu’on dénonçait, et si devant tant d’abus il y avait des incohérences ou des complicités administratives, des défaillances de magistrature, c’était ni plus ni moins la conséquence et l’accusation la plus sanglante de la politique de dix années, de tout un règne de parti. Cette situation avilie et si profondément altérée, où tous les abus, toutes les faiblesses sont possibles, ce sont les républicains qui l’ont créée par leurs procédés administratifs, par les mœurs qu’ils ont propagées, par le plus audacieux favoritisme, — Et cette crise de 1887 n’est par le fait que la répugnante liquidation des dernières années. Voilà la moralité, une des moralités de la dernière crise présidentielle !

Elles sont passées maintenant, toutes ces années, celle qui finit aujourd’hui comme celles qui l’ont précédée. Elles ne laissent pas un brillant héritage; elles viennent de se faire juger par leurs œuvres, par les habitudes d’anarchie morale et politique qui se sont dévoilées, et c’est à la lumière instructive de cette expérience qu’on entre dans l’année nouvelle, avec un nouveau président et même un ministère nouveau. Qu’en sera-t-il de tous ces changemens, de ce renouvellement partiel de la scène publique ? Est-ce la continuation du passé avec un changement de décor? Est-ce le commencement du retour à un régime de raison réparatrice? C’est là toute la question.

Il n’y a pas encore un mois que M. Carnot est à l’Elysée ; il a eu à peine le temps de s’accoutumer à son état et d’entrer dans son rôle de premier magistrat de la république. Il a l’avantage d’être arrivé au poste éminent et périlleux où il est placé sans être lié ou compromis par des brigues d’élection, par des engagemens avec les partis. Il a été pour ainsi dire improvisé président sur le champ de bataille,