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à sortir de sa tente pour se mettre à la tête des affaires. « Heureusement il est trop tard, ajoutait-il, ce calice amer a passé loin de moi.» Je crois avoir dit que le bon sens des Cobourg travaille six jours et chôme le septième; pendant qu’il se repose, leur imagination, qui ne se sent plus surveillée, prend ses ébats, s’échappe, voyage dans les espaces et ne se refuse rien.

Frédéric-Guillaume IV avait décliné par scrupule et par prudence, mais à regret, les offres de l’assemblée de Francfort. Pour se consoler de n’être pas empereur, il tenta de grouper autour de lui les petits états du nord de l’Allemagne, de constituer ce qu’on appelait l’union restreinte. Devenir le principal outil de la politique prussienne, jouer à Berlin le rôle de confident très cher et de conseiller d’honneur, le duc Ernest pouvait caresser ce rêve sans qu’on le taxât de folie. Il approuva chaudement les desseins du roi, épousa son idée, s’employa sans se ménager à la faire aboutir. Il se remuait, s’agitait: il était partout, usant de sa dextérité consommée pour supprimer les obstacles, lever les difficultés, concilier les différends, ramener les réfractaires, décider les hésitans. Il fréquentait les coulisses du parlement d’Erfurt. Il se flatta un instant d’obtenir que le congrès des princes alliés de la Prusse se tînt à Gotha, que le roi y parût en personne, ce qui fit dire à un journal de Berlin que Gotha était une bien petite cage pour y loger un aigle. Frédéric-Guillaume IV acquiesçait, promettait et se ravisait. Le congrès se tint à Berlin ; le duc présida aux délibérations des princes, et le roi lui disait quelquefois : « Pas trop de zèle, mon ami, pas trop de zèle! »

Les affaires se brouillaient entre la Prusse et l’Autriche, qui entendait rétablir l’ancienne Confédération germanique et en recouvrer la présidence. La guerre semblait imminente: le duc demanda et obtint que le roi lui confiât le commandement d’un corps composé des contingens de l’union et de quelques détachemens de l’armée prussienne. Quand Frédéric-Guillaume IV lui octroya cet honneur, il était décidé à ne pas faire la guerre. Il avait pensé intimider l’Autriche par ses préparatifs; l’Autriche ne reculant pas, ce fut lui qui recula, il ne songeait plus qu’à s’arranger. Il caressait le duc, flattait ses ambitions, ses désirs, l’inondait des torrens de sa verbeuse éloquence, lui annonçait des projets qu’il n’avait pas et de glorieux événemens qui ne devaient jamais arriver. On aurait pu croire qu’il lui tardait d’en découdre, que son épée ne tenait pas dans le fourreau. Le 25 novembre, il l’invita à dîner. Pendant tout le repas, il par la sur un ton d’extrême animation de sa prochaine entrée en campagne, de ses derniers préparatifs, des tentes et des voitures destinées au service de son quartier-général. La reine le regardait avec étonnement; elle était dans le secret, elle savait que la paix était quasi faite, que l’épée des Hohenzollern