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oreilles ne pouvaient s’exposer à de tels affronts. Léopold Ier laissait dire, et il devint le modèle, le vrai parangon du roi parlementaire. Il entendait son métier comme personne; le roi Louis-Philippe aurait mieux fait de se régler sur les exemples que lui donnait son gendre, qui blâmait ses fautes et prévit sa chute : « Vous verrez que mon beau-père sera chassé comme Charles X. La catastrophe est imminente. » Il disait aussi qu’il n’entendait point se compromettre dans cette affaire : « Le bon vieux monsieur, ajoutait-il, mangera lui-même sa soupe. » Cependant le roi Léopold n’avait pas une tendresse particulière pour le régime constitutionnel. Quand il allait à Berlin, il s’épanchait à ce sujet avec le roi Frédéric-Guillaume IV, il se répandait en plaintes sur « ces satanées petites constitutions, qui sont si gênantes pour les souverains, » Il maudissait aussi le sort des princes qui n’ont pas de domaines « et qui, réduits à une liste civile, ne sont qu’une sorte de mendians d’état. » Mais il jugeait que comme on fait son lit, on se couche, que les pires institutions deviennent passables quand on sait en tirer parti, que la vertu royale par excellence est le savoir-faire.

Le duc Ernest II pensait de même. Il fut le plus libéral des princes allemands ; avant 1848, il avait proposé à ses sujets des réformes qui leur semblèrent trop hardies. Comme son oncle, il estimait que le savoir-faire est tout, que la monarchie plus ou moins parlementaire a de graves inconvéniens, qu’il faut y remédier par une sage conduite et par l’esprit d’à-propos, que l’instabilité ministérielle est un grand mal, mais que le plus souvent ce mal est imputable à la maladresse des souverains. Il a fait un miracle dont il lui est permis de se glorifier : « M. de Seebach, nous dit-il, est resté mon ministre d’état depuis 1849 jusqu’à ce jour, il a dirigé avec bonheur les affaires de mes duchés durant près de quarante années, exemple peut-être unique dans les annales du régime constitutionnel. »

Mais on donnerait une définition incomplète des Cobourg si on ne voyait en eux que des sages libres de tout préjugé ou des hommes d’affaires très avisés. A leur bon sens, à leur excellent jugement, ils joignent les inquiétudes de l’imagination, le désir d’accroître leur bonheur et d’étendre sans cesse leur gloire, l’amour des premiers rôles, le goût de se mettre en vue et de faire grand, et quand la fortune contrarie leurs visées, ils en souffrent, ils se rongent. Le prince Albert avait ses ambitions cachées, qui, ne trouvant pas à se satisfaire, le tourmentaient. Son frère remarque qu’il y avait en lui des contrastes singuliers, que ce philanthrope méprisait les hommes, qu’il avait des sentimens très humains et qu’il jugeait l’humanité avec hauteur, que ce prince affable était souvent un censeur âpre et acerbe, que dans mainte occurrence sa chaleur d’âme se changeait en une froideur glaciale,