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de la Santé, comme à la prison d’Amsterdam, une société spéciale qui s’occupe de l’amélioration des prisonniers et les visite pendant leur détention. Il est singulier que dans ce Paris si fécond, si ingénieux en bonnes œuvres, cette forme de la charité ne tente pas davantage les personnes dévouées. Il y aurait là cependant beaucoup de bien à faire par l’influence directe de l’homme sur l’homme, de l’âme sur l’âme. La cellule se prête merveilleusement à cette influence. Je ne suis pas de ceux qui croient que la solitude moralise. On dit, il est vrai, qu’elle permet à l’homme d’écouter la voix de sa conscience. Mais si sa conscience ne lui dit rien? — Si elle est engourdie, paralysée, quelle voix entendra-t-il? — Celle de ses passions et de ses haines. Ou bien, tout simplement, il passera dans un état d’inertie morale et d’abêtissement cette période de réclusion, et si elle est sans dommage pour lui, ce qui est déjà beaucoup sans doute, elle sera aussi sans profit. Il est rare que la conscience se réveille sans qu’on lui parle, et pour lui tenir le langage à la fois sévère et affectueux qui est propre à la tirer de son assoupissement, je ne sais si la parole du laïque n’est pas, dans certains cas, plus efficace que celle du prêtre, surtout auprès du détenu parisien, toujours un peu méfiant vis-à-vis de tout ce qui porte soutane, et volontiers enclin à croire que c’est le métier des curés de prêcher, comme c’est celui des apothicaires de vendre des drogues. La charité laïque aurait là une belle occasion de s’exercer; mais, jusqu’à présent, elle semble un peu endormie. Il faut reconnaître que, pendant longtemps, elle n’a pas reçu beaucoup d’encouragemens, et je ne sais si, il y a un certain nombre d’années, la préfecture de police eût sans difficulté ouvert la porte des prisons aux fréquentes visites des membres d’une société charitable. Ces traditions sont changées aujourd’hui, et il n’y aurait qu’à pousser cette porte. Mais bien peu se présentent pour le faire[1], et c’est assurément le cas de rappeler cette parole mélancolique de l’Evangile : « La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. »

Reste l’aumônier. L’aumônier est encore un des fonctionnaires de la prison. Peut-être n’en sera-t-il pas bien longtemps ainsi, car la commission du budget, en quête d’économies, n’en a pas trouvé de meilleure à faire que de supprimer les aumôniers des prisons départementales. Mais, pour le moment, il a le droit de pénétrer dans la prison, d’entrer en relations librement avec les détenus, et il n’est pas obligé d’attendre, comme le propose le rapporteur de la

  1. Il existe deux sociétés de dames visiteuses à Saint-Lazare et une société de patronage des détenus protestans dont quelques membres visitent les détenus de leur religion. Il n’existe pas d’œuvres spéciales pour les détenus catholiques, et la société générale de patronage ne s’occupe du détenu qu’à sa sortie de prison.