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des rapports adressés à M. le directeur de l’administration pénitentiaire par les directeurs des quelques prisons cellulaires départementales, rapports dont celui-ci a eu l’heureuse idée de publier la collection. Dans cette collection figure un rapport, malheureusement trop court, du directeur de la Santé, qui du reste ne relève point directement du directeur de l’administration pénitentiaire[1]. Je voudrais qu’il me fût possible de combler les lacunes de ce rapport et de faire pénétrer mes lecteurs dans la vie intérieure de cette grande prison, la plus importante de France par le nombre de ses cellules, et la plus intéressante par la diversité de la population qu’elle contient. Mais c’est là une entreprise difficile pour ne pas dire impossible. Sans doute, il me serait très facile, comme à tout visiteur, de dire que le quartier cellulaire de la Santé se compose de quatre galeries aboutissant à un pavillon central, que chaque galerie contient deux étages de cellules reliées par un corridor en bois, et que le cube d’air de chaque cellule est de 20 mètres; il me serait très facile également de décrire le costume des détenus ou de donner la composition de leur nourriture, en distinguant les cinq régimes maigres des deux régimes gras, et d’entrer dans d’autres détails de même nature et de même intérêt. Mais il me semble que, si j’étais mon propre lecteur, tous ces renseignemens me laisseraient parfaitement indifférent. Ce que je demanderais à sa place, ce serait qu’au lieu de me promener dans ces tristes et silencieuses galeries, on ouvrît pour moi les portes de ces cellules derrière lesquelles un léger bruit vous révèle à peine la présence d’un être humain, et qu’on me fît du même coup pénétrer dans la conscience de ces hommes, soumis du jour au lendemain à un régime qui doit leur sembler aussi étrange. Quelle est l’influence de la solitude sur ces âmes, les unes passionnées, les autres inertes, les unes compliquées, les autres grossières? Quel effet produit sur ceux qui ont reçu quelque éducation ou, au contraire, sur ceux qui sont restés à l’état fruste et primitif, ce perpétuel tête-à-tête avec eux? Mais à ces questions le directeur de la prison pourrait seul répondre. Encore le pourrait-il? A vrai dire, j’en doute un peu, et je dirai très franchement pourquoi, sans crainte de blesser personne, car mes observations ne visent, bien entendu, qu’une organisation administrative et un état général des esprits. Pour mieux

  1. Suivant une organisation souvent critiquée, bien qu’elle ait, sous certains rapports, sa raison d’être, les prisons de la Seine sont groupées sous l’autorité du préfet de police, qui correspond directement à leur sujet avec le ministre de l’intérieur. Un décret tout récent vient de modifier cette organisation. Mais il est encore trop tôt pour apprécier les conséquences que pourra produire ce décret s’il est mis à exécution.