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La prison de Sainte-Pélagie nous offre un système plus simple encore, celui de la promiscuité absolue entre toutes les catégories de détenus. Cette prison de Sainte-Pélagie, qui est un ancien couvent aucunement aménagé pour sa destination nouvelle, avait autrefois une certaine célébrité; c’était la prison réservée aux détenus politiques, condamnés pour délits de presse ou autres. Il y a un vieil article d’Armand Carrel, si je ne me trompe, qui eut autrefois un grand retentissement, et qui commence ainsi : « Comprenez-vous Pélagie’? » Carrel déclarait n’y rien comprendre, et préférer les plombs de Venise ou les cachots du Spielberg, dont il est vrai qu’il n’avait jamais tâté. Depuis cette date, le nombre de ceux qui ont eu occasion de comprendre ou de ne pas comprendre Pélagie a singulièrement diminué. La mode n’est plus aux procès de presse, et quelques pauvres diables d’anarchistes, qu’on condamne de temps à autre pour l’exemple, occupent seuls aujourd’hui le quartier des « politiques. » Ce ne sont pas les directeurs qui le regrettent : « j’aimerais mieux avoir à faire à cent forçats qu’à dix détenus politiques, » me disait un jour l’un d’entre eux. Mais comme un jour ou l’autre la mode pourrait changer, force est bien de laisser subsister le quartier des politiques, que ceux-ci partagent avec les « dettiers, » c’est-à-dire avec les individus ayant encouru la contrainte par corps pour non-paiement d’amendes envers l’état ou de dommages-intérêts envers les particuliers. Cela est regrettable, car le quartier des politiques est beaucoup trop spacieux pour le peu de détenus qui l’habitent, tandis que celui des condamnés de droit commun présente le spectacle d’un encombrement dont il est difficile de donner une idée. La prison de Sainte-Pélagie a été évaluée, en 1859, comme pouvant contenir au moins 500 détenus; elle en contient aujourd’hui, en moyenne, plus de 700. Dans ces conditions, ce n’est plus une prison : c’est une auberge mal tenue. Les neuf ateliers de la maison ne sont pas assez spacieux pour contenir tous les détenus, et il s’en faut, d’ailleurs, que ces ateliers soient toujours pourvus de travail. Aussi les détenus débordent-ils dans l’unique préau, dans les chauffoirs (assez improprement appelés, car ils ne sont pas chauffés), dans les passages et presque dans les corridors. Près de la moitié de l’effectif de la maison baguenaude ainsi toute la journée, se promenant, causant, fumant à sa guise, sous la surveillance illusoire d’un seul gardien. Dans les ateliers, généralement sombres et malsains, la surveillance n’est guère plus efficace. Il en est où les détenus sont livrés complètement à eux-mêmes, faute d’un nombre de gardiens assez grand pour en mettre un par atelier. A quoi servirait, du reste, la surveillance de jour, lorsqu’il n’y a pas de surveillance la nuit? La prison de