solitude qui peut en favoriser l’accomplissement en puisse être cependant rendue responsable. On raconte l’histoire de détenus qui pour mettre ainsi fin à leurs jours ont fait montre d’une énergie incroyable, les uns s’étranglant avec leur mouchoir serré autour de leur cou, les autres tout simplement avec leurs propres doigts. Aussi ne saurait-on, dans l’aménagement des cellules, éviter avec trop de soin tout ce qui facilite aux détenus les attentats contre eux-mêmes. À ce point de vue, la disposition des fenêtres dans les cellules de Mazas et celle des becs de gaz laissent quelque peu à désirer. Si la maison était à refaire, il faudrait aussi modifier complètement le système des tuyaux de vidange qui met les cellules en communication les unes avec les autres. Les détenus se servent de ces tuyaux comme de porte-voix, et peuvent ainsi, à l’insu des gardiens, échanger des communications d’un bout à l’autre de la même galerie. Néanmoins, avec ces imperfections, Mazas n’en reste pas moins une prison très utile qu’il faut s’estimer heureux de posséder à Paris, où les détenus appartiennent à des catégories sociales si différentes. Si on relevait, en effet, par profession, tous les noms couchés sur le registre d’écrou de Mazas, on y trouverait d’anciens ministres mêlés à des vagabonds, et si les seconds n’apprécient pas beaucoup les avantages du système cellulaire, il n’en doit pas être de même des premiers. On doit même regretter que, malgré leur séparation habituelle, le va-et-vient de la maison amène entre les prévenus de trop fréquens contacts. Innocent ou coupable, il est pénible pour un homme de quelque éducation de se sentir dévisagé par un drôle qui le regarde d’un air narquois. A cet inconvénient, je ne connais qu’un remède : c’est le capuchon. Dans les prisons de Belgique et de Hollande, où le régime cellulaire est pratiqué avec une extrême rigidité, chaque détenu est astreint, dès qu’il sort de sa cellule, à se couvrir la tête d’une sorte de cagoule en étoffe très mince, à travers laquelle il voit assez pour se conduire et même pour reconnaître sans qu’on puisse discerner ses propres traits. La prescription n’a rien d’inhumain, et elle est imposée aux détenus dans leur intérêt même, pour leur sauver l’humiliation d’être dévisagés, et pour les préserver d’être reconnus et exploités plus tard par leurs compagnons de captivité. Néanmoins, je n’oserais en conseiller l’application à Paris. Il faut convenir, en effet, que l’impression qu’on éprouve à voir passer, même dans les couloirs d’une prison, ces personnages muets, masqués et mystérieux, ne laisse pas d’être assez étrange. Il suffirait que Mazas fût visité par un philanthrope trop impressionnable pour qu’il écrivît le lendemain une lettre dans les journaux et pour qu’il soulevât la sensibilité publique contre une mesure dont l’exagération apparente pourrait faire tort au système cellulaire lui-même.
Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/149
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.