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preuve depuis tant d’années, est la meilleure excuse des départemens pauvres, qui n’ont ni les mêmes ressources ni la même responsabilité.

Parlons d’abord du régime des prévenus et des accusés. Il semblerait naturel que ceux des deux sexes fussent, dans des prisons différentes, soumis au même traitement. Il n’en est rien. Prévenus et accusés du sexe masculin sont isolés à Mazas et à la Conciergerie. Prévenues et accusées du sexe féminin sont détenues en commun à Saint-Lazare. A quoi tient cette différence de traitement? A quelque considération théorique et rationnelle ? Par exemple à la pensée que l’isolement est plus difficilement supportable pour les femmes? En aucune façon, mais tout uniment à ceci, qu’au temps où l’opinion publique se préoccupait fort des questions pénitentiaires, et se prononçait avec énergie en faveur du système cellulaire, c’est-à-dire pendant la période de 1830 à 1848, la gestion financière du département de la Seine était entre les mains d’hommes qui avaient le sentiment de leur responsabilité morale, et que la préfecture de police, elle-même soucieuse de ses devoirs, avait su obtenir de ces hommes l’édification d’une maison d’arrêt cellulaire. Puis les temps changèrent, les préoccupations se tournèrent d’un autre côté; le système cellulaire perdit la faveur publique et pour les femmes les choses restèrent en l’état. Pour elles, la maison d’arrêt et de justice demeure un quartier de la prison de Saint-Lazare, et quel quartier! Deux pièces basses, dont l’une est l’entresol de l’autre et communique avec celle d’en dessous par un escalier intérieur de quelques marches. Pas de jour, pas d’air. Les femmes assises sur de petites chaises basses et serrées les unes contre les autres. Peut-être pendant le jour, la surveillance assidue des sœurs de Marie-Joseph parvient-elle à empêcher les confidences et les communications trop intimes. Mais la nuit, elles sont enfermées par petits groupes de trois ou quatre dans les anciennes cellules du couvent des Lazaristes, dont on a fait autant de petits dortoirs. Là, c’est l’intimité absolue, avec absence complète de surveillance. Ce qui peut se passer dans ces dortoirs où les détenues sont enfermées dans l’obscurité pendant dix ou douze heures d’hiver, les sœurs n’en savent absolument rien, et, sans insister, je dirai qu’elles ne s’en doutent même pas. La seule précaution qui soit prise, c’est au dortoir comme à l’atelier de mettre à part des autres les femmes qui sont inscrites comme étant de mauvaise vie, et puis c’est tout.

Il y a cependant un moyen d’échapper à cette promiscuité révoltante, mais ce moyen est aussi antidémocratique que possible : c’est la pistole. Moyennant une redevance de 20 centimes par jour, les femmes obtiennent le droit de se soustraire à l’atelier commun.