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ayant bénéficié d’une ordonnance de non-lieu ou d’un acquittement. Les autres, sauf un certain nombre de décédés, ont été transférés dans d’autres lieux de détention. En effet, par une pratique administrative qui date du commencement du siècle, on ne garde dans les prisons départementales que les condamnés correctionnels à moins d’un an. Les autres sont transférés dans les maisons centrales, où nous les retrouverons. Très considérable est donc, comme on le voit, le chiffre de ceux qui, pendant une seule année, ont respiré l’air des prisons départementales. Si cet air est vicié, si ces prisons sont autant de lieux d’infection morale, si ceux qui y ont été enfermés pendant un temps plus ou moins long risquent d’y contracter des germes morbides, il est impossible que la contagion ne dépasse pas les murs de la prison et ne se répande pas dans le reste du pays. Cette contagion est d’autant plus à redouter, que les prisons départementales contiennent des individus appartenant aux catégories les plus diverses: des prévenus, dont un assez grand nombre, comme on vient de le voir, sont innocens, et les autres, au contraire, coupables des crimes les plus graves ou les plus odieux ; des condamnés pour des infractions de toute nature, et qui n’ont aucun rapport les unes avec les autres, depuis le vulgaire filou ou la proxénète jusqu’à l’individu qui a donné un coup de poing dans une rixe ou la femme qui a été surprise en flagrant délit d’adultère ; des contrevenans de simple police, voire même (la chose n’est pas impossible) des pères de famille ayant négligé d’envoyer leurs enfans à l’école, sans parler des condamnés politiques. C’est donc une question dont personne ne devrait se désintéresser que de savoir à quel régime ils sont soumis. Mais la chose à éclaircir est plus malaisée qu’on ne pourrait croire.

Le code pénal de 1810 (c’est un reproche qui a été souvent adressé à ses auteurs) est muet, ou peu s’en faut, sur le régime des prisons. Rien n’est prescrit en ce qui concerne les prévenus, sinon qu’ils doivent être séparés des condamnés. Pour les condamnés correctionnels, l’art. 40 du code pénal se borne à dire : « Quiconque aura été condamné à la peine d’emprisonnement sera renfermé dans une maison de correction : il y sera employé à l’un des travaux établis dans cette maison selon son choix,» et c’est tout. Ce silence de la loi laissait à l’administration pénitentiaire toute latitude pour soumettre les détenus à tel régime qui lui semblerait bon. Ainsi a-t-elle fait depuis le commencement da siècle, sans aucun esprit de suite ni de système, cherchant parfois, comme pendant la durée du gouvernement de Juillet, à donner certaines satisfactions à l’opinion publique ; puis reprenant sa liberté, comme sous l’empire, et se laissant le plus souvent dominer par des considérations de fait et d’économie. La loi du 5 juin 1875 a mis fin