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gage d’indépendance relative. Qu’on lui permette de s’enrichir; elle se contentera volontiers d’un rôle modeste et subalterne.

Tout autre est son importance commerciale. Dans ce domaine, elle est vraiment reine, et son empire grandira encore. C’est que, dans notre siècle, les courans économiques suivent leur pente sans aucun souci des convenances politiques. Ils vont droit où les appelle, soit la rapidité, soit le bas prix des transports: Salonique, tête de ligne d’un chemin de fer européen, escale commode sur les mers d’Orient, présentera bientôt cette double attraction. Déjà le caractère cosmopolite de son peuple et de son histoire se reflète jusque dans son commerce. Tandis que, dans la plupart des autres ports, un pavillon écrase les autres, et que la population a ses pourvoyeurs attitrés qu’il est difficile de supplanter, les différentes nations de l’Europe, favorisées les unes par la distance, les autres par le bon marché du fret, peuvent lutter ici presque à armes égales. Naturellement les Anglais, ces rouliers de la mer, tiennent le premier rang pour la navigation. Mais si l’on parcourt le tableau des marchandises importées par chaque pays, on constate qu’entre l’Angleterre, l’Autriche, l’Allemagne et la France, il n’y a point de différence impossible à combler. Les chiffres varient pour chacune des puissances entre 10 et 14 millions de francs. Il dépend certainement de nos Marseillais de faire mieux encore, et de ressaisir une partie des avantages que l’admirable position de leur ville leur assurait autrefois dans le commerce du Levant. Je crois fermement que la vogue leur reviendra. Les produits français sont chers, mais presque toujours solides et nets de toute adultération. en Orient, la mode actuelle est aux produits autrichiens, qui sont mauvais et peu coûteux. Le bazar de Salonique est encombré de cette pacotille, digne d’être échangée sur la côte d’Afrique contre de la poudre d’or et de l’ivoire, car elle convient plutôt à des nègres qu’à des gens civilisés. Les roitelets du Congo ne se verraient pas plus laids dans ces miroirs qui allongent, déforment ou verdissent le visage. Ils prendraient les chaises et les tables pour de simples ornemens, et n’auraient pas la tentation de s’asseoir sur les unes ou de s’appuyer sur les autres, au risque de s’effondrer au milieu de leur luxe improvisé. Ils resteraient en extase devant ces pendules en simili-bronze, dont ne voudraient pas les auberges de nos derniers villages ; et comme ils marchent généralement tout nus, ils s’inquiéteraient assez peu de la durée d’un tissu de coton. Hélas! les Orientaux sont encore nègres sur ce point; dépensant au jour le jour, imprévoyans comme des enfans, peu soucieux de ce qui dure, ils vont droit au bon marché, qui est souvent un marché de dupe. Un négociant m’a démontré, de la manière la plus agréable, un verre de limonade à la main, que le sucre de