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de ces deux réserves lorsque l’autre lui échappait. Encore aujourd’hui, toute la péninsule des Balkans gravite autour de Constantinople. Tant que le sort de cette capitale est en suspens, rien n’est résolu. Les guerres, les traités ont entamé peu à peu les fleuves et les montagnes qui la défendent comme autant de barrières : ce sont les actes successifs d’un drame dont le dénoûment est encore inconnu, mais dont la possession de Stamboul est l’unique péripétie. Chaque province qui tombe est un boulevard de moins : le centre de l’action ne varie pas.

Rien de pareil pour Salonique. La Providence, en la reléguant au fond de son golfe. Ta condamnée à suivre les grandes révolutions territoriales sans les diriger. Elle ne réglera même pas le sort de cette Macédoine qu’elle alimente et dont elle vit. La race bulgare» prépondérante dans les campagnes, est à peine représentée dans la ville, et n’a aucune influence sur les affaires municipales. Les prétentions des états limitrophes, Grèce, Bulgarie, Serbie, s’appuient sur le dénombrement des villages, que chacun revendique pour son saint et pour sa race, non sur la composition ou sur les tendances de Salonique. Ce n’est même pas aux frontières de la Turquie, c’est plus loin, autour du tapis vert des chancelleries, que se joue la fortune de la Macédoine. La péninsule sera encore plus d’une fois disputée et découpée en tranches avant qu’on ne dispose de Salonique. Les Russes eux-mêmes, quand ils ébauchèrent à San-Stephano la grande Bulgarie, laissèrent de côté la péninsule chalcidique et son grand port, sachant bien qu’une fois maîtres du tronc de l’arbre, la branche suivrait d’elle-même. Depuis lors, tout le monde pense à Salonique et personne n’en parle. Elle excite des convoitises, mais elle inquiète la main prête à la saisir. Ce port ouvert pourrait enrichir un conquérant; il ne lui apportera point de force. Au contraire, la puissance qui étendrait le bras jusque-là multiplierait ses points vulnérables et prêterait le flanc à plus d’un agresseur. Si jamais, ce qu’aucun bon Français ne doit désirer, les Turcs étaient contraints de battre en retraite, Salonique ne tomberait point avec fracas : elle se détacherait mollement de l’empire, comme on fruit mûr. Si cette vieille ville pouvait décider de son propre sort, il est probable qu’elle inclinerait vers une confédération de cités, vers une espèce de hanse orientale telle que ces rivages en ont vu autrefois, et telle qu’une génération plus heureuse en verra peut-être refleurir. Ce rêve est une utopie à Constantinople : il serait ici merveilleusement approprié à la configuration du sol et au génie des habitans. Mais les vœux des peuples sont bien ce qui préoccupe le moins notre âge de fer. De longtemps, Salonique ne gouvernera pas ses propres destinées. Aussi est-elle plus attachée qu’une autre ville à la domination des Turcs, qui est pour elle un