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dont le rythme simple, enfermant la fantaisie des arabesques dans une broderie rectangulaire, n’aurait pas déparé la vieille basilique. On conçoit que des hommes d’état et des philosophes aient rêvé Une transaction possible entre les deux formes les plus achevées die la civilisation au moyen âge, entre Bagdad et Constantinople. Mais les empereurs et les khalifes, leurs généraux ou leurs ministres, dans ces états si despotiques, étaient trop souvent des génies solitaires : leurs, conceptions durent plier devant le fanatisme des foules. Au XIVe siècle, la confusion n’était pas moindre en Asie qu’en Europe. D’un côté du Bosphore, les petites dynasties musulmanes ; de l’autre côté, les factions chrétiennes et les sectes se déchiraient à l’envi. Pour mettre tout le monde d ’accord, il fallut qu’un peuple nomade, habitué à la nudité de la steppe, indifférent aux lettres et aux arts, sortit de ses déserts et établît: partout le silence de la servitude. Les Turcs écrasèrent sans y penser les fruits et les fleurs de deux civilisations. Ils plantèrent leur tente sur les débris de deux mondes ; car si leur religion et leur histoire les rapprochaient dès Arabes, ils ne gardèrent vraiment de cet héritage que le Coran et ses commentaires. En Europe, ils se firent iconoclastes par le fer et le feu. La destinée a de terribles retours; puisque l’Orient et l’Occident n’avaient pu s’entendre, puisque de Constantinople au Caire chacun restait cantonné dans sa manière spéciale d adorer Dieu, les Turcs furent suscités pour simplifier tout, non en théologiens, mais en soldats. Aux extrémités opposées du monde antique, deux peuples sombrèrent, laissait un vide qui n’est point encore comblé : depuis lors, l’Asie et l’Europe n’ont cessé de se tourner le dos. — Et voilà pourquoi une pauvre petite basilique, perdue dans un coin de Salonique, est à moitié ensevelie sous une couche de plâtre.

La. destruction, chez les Turcs, n’est pas systématique : elle procède de l’indifférence. Ils-ont épargné ce qui ne les gênait point. A Salonique, le hasard a sauvé quelques beaux fragmens et toute une ancienne église, Saint-Dimitri, dont les marbres sont bien conservés, A Sainte-Sophie, une main maladroite a même essayé de combler les vides de la mosaïque par de grossières peintures. Ces tristes enluminures et la nudité voisine ne font que mieux ressortir un art sans rival dans la combinaison des nuances. La couleur a son chant, tout comme la musique : elle a sa phrase éclatante ou sombre, ses basses vibrantes ou, assourdies. Elle fait alterner les notes gaies avec des impressions presque, douloureuses dans leur intensité ; comme sa sœur la musique, elle nous donne des émotions qu’il est difficile de traduire en paroles, parce qu’elles ont plus de profondeur vague que de contour arrêté. Sous le portait de Sainte-Sophie subsiste une voûte chatoyante et sombre, toute piquée de pointe