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grâce plus parfaite dans la forme; je tiens à ce qu’il sache bien combien j’en suis touché. Je sais que cela ne s’est pas fait sans difficulté, aussi lui en sais-je doublement gré. » Il se plaignit, en revanche, de l’orgueil, du manque de politesse et d’éducation des hommes d’état anglais : « Ce n’est pas la bonne et charmante reine que j’accuse, disait-il, elle est la première à en souffrir. » Il n’oublia pas le prince impérial ; il voyait dans sa naissance un gage certain d’absolue sécurité pour la France et pour l’Europe. Son érudition était vaste ; le passé n’avait guère de secrets pour lui, mais il n’avait pas, comme son conseiller de Francfort, la vision de l’avenir.

La légation de France était à ce moment recherchée et fêtée ; elle représentait un souverain puissant qui tenait dans ses mains les destinées de l’Europe ; on lui savait gré de son attitude pendant la guerre et surtout de ce qu’elle avait fait pour assurer à la Prusse son admission au congrès. M. de Manteuffel, toujours bienveillant pour moi, m’envoya son portrait gravé, rehaussé par quelques lignes autographes, et lorsqu’à la fin de 1856, un avancement de carrière m’éloigna de Berlin, où j’avais passé cinq années, le roi, sur sa demande, me conféra dans son ordre, l’Aigle-Rouge, la classe réservée aux premiers secrétaires.


VIII. — LA NAISSANCE DU PRINCE IMPERIAL, L’EMPEREUR AU LENDEMAIN DU CONGRÈS DE PARIS.

La paix fut signée le 30 mars, jour anniversaire de l’entrée des armées coalisées à Paris. Les puissances qui, en 1814, étaient venues affirmer les défaites de la France dans sa capitale, s’y trouvaient réunies en 1850 pour y consacrer le triomphe de sa politique et de ses armes. Napoléon Ier avait maintes fois soumis l’Europe, il ne l’avait jamais persuadée ; il avait cinq fois battu la coalition, il ne l’avait jamais dissoute. Napoléon III avait le bonheur de remporter dans les esprits les victoires que son oncle n’avait pu gagner décisives sur les champs de batailles; il avait fait plus que vaincre l’Europe, il l’avait convaincue.

Pour arriver à une si haute fortune, il avait eu à son service tous les élémens qui permettent aux souverains la poursuite de grands desseins : une diplomatie sagace, vigilante, une marine expérimentée, une armée aguerrie, rompue aux fatigues, et l’élite des hommes de guerre formés sur la terre d’Afrique; il ne manquait à cette pléiade de vaillans capitaines que le général de Lamoricière, le général Changarnier et le duc d’Aumale, qui, épris de son métier, étranger à la politique, expiait alors dans l’exil son origine, comme il expie aujourd’hui, victime d’une démocratie ombrageuse, privé de son épée, sa renommée militaire et son ardent patriotisme.