Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 85.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il démontrait à son gouvernement, pour colorer ses déconvenues, que son alliance était recherchée aujourd’hui par tout le monde : par l’Angleterre, qui avait besoin d’un contrepoids à la France ; par la Russie, qui avait hâte de sortir de son isolement ; par l’Autriche, qui tenait à se faire garantir ses possessions italiennes, et par la France elle-même, qui avait intérêt à empêcher cette garantie. Il engageait son ministre à ne pas se prononcer, à entretenir les meilleurs rapports avec tout le monde, et à laisser entrevoir à tous les cabinets la possibilité d’une alliance. « Voyons-les venir, écrivait Frédéric II à Podewils; rien ne nous convient mieux que de recevoir des propositions de tous côtés et de choisir. Les lettres de Russie me font grand plaisir; celles de Paris nous sont favorables, profitons en attendant des conjectures, et leurrons-les tous ensemble. »

Passant à la politique germanique, le délégué fédéral, après de pénibles expériences, traçait de la Confédération un affligeant tableau. Il faisait ressortir la fragilité de son existence et démontrait qu’au premier choc elle se dissoudrait : c’est pour ce moment que la Prusse devait se ménager. En attendant, le plénipotentiaire du roi recommandait de soulever la question des duchés de l’Elbe. Sa recette était simple : faire une querelle d’Allemand au Danemark, adresser des notes acerbes au cabinet de Copenhague, lui reprocher de manquer à ses engagemens, provoquer des répliques, et porter la question, rendue brûlante par la polémique des journaux, à Londres et à Paris.

Tels étaient les conseils que donnait M. de Bismarck après la guerre de Crimée, et que le marquis de Moustier signalait, dans leurs grandes lignes, à son gouvernement dès le mois de juin 1856.

L’empereur savait le jeu qu’allait jouer la Prusse; il ne tenait qu’à lui de le faire avorter en restant plus fidèle que jamais aux vieilles traditions de la politique française. Mais à quoi servent les avertissemens à ceux que le destin a marqués pour la perte des empires !

Napoléon III se sentait irrésistiblement entraîné vers l’Italie, qu’il voulait affranchir, et vers la Prusse, qu’il tenait à rendre plus homogène dans le nord de l’Allemagne. Il semblait fasciné par elles, comme le voyageur qui, au bord d’un précipice, subit les mystérieuses attractions de l’abîme. Dès son avènement au pouvoir, il envoyait son familier, M. de Persigny, à Berlin, pour lier partie avec la politique prussienne, sans se rendre, compte des préventions que son nom et sa personne inspiraient alors à la cour de Potsdam. Ses avances trouvèrent peu d’échos : mais il n’était pas de ceux qui se laissent rebuter par l’insuccès. Ses idées étaient tenaces ; il les reprit, au début des complications orientales,