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évangélique ne voudra pas affaiblir la Prusse évangélique, qu’elle ne se rendra coupable à mon égard d’aucune infamie. Prenez bien note de ceci, excellent Bunsen : je demande pour prix de ma neutralité sincère et autonome, pour prix des services que je rends à l’Angleterre dans cette funeste rupture avec la Russie et les traditions chrétiennes, je demande la garantie de mes possessions territoriales européennes, l’inviolabilité territoriale de toute la Confédération germanique, la promesse sacrée de me restituer, sans condition, mon fidèle Neufchâtel, après la paix, dans la paix, au moyen de la paix. Si je suis attaqué pendant l’inceste de l’Angleterre et de la France ; ou si, par suite de cet inceste, les deux puissances incestueuses, prenant la révolution pour alliée, la déchaînaient par le monde, alors je fais alliance avec la Russie, à la vie à la mort ; je connais mon devoir. » — « Je demande à l’Angleterre une réponse : veut-elle et peut-elle faire rétablir mon autorité dans ma fidèle petite principauté du Jura, aujourd’hui foulée aux pieds des impies ? Si l’Angleterre n’est pas claire et précise, j’adresserai la question à la Russie, et si la Russie non plus ne me répond pas clairement, je prierai Dieu de me rendre plus fort ! »

Le roi a écrit des lettres qui font honneur à son cœur et à son esprit, mais il en est dont la lecture est troublante, pénible. On se demande à quel mobile M. de Bunsen a cédé en les publiant, car elles ne sont pas de nature à grandir le souverain qu’il a aimé et servi. Voulait-il justifier l’insuccès de sa mission par l’incohérence de ses instructions ? Certes, sa tâche était difficile ; il n’était pas aisé de dire à des ministres anglais que l’alliance qu’ils avaient contractée avec la France était incestueuse et de leur demander comme prix, non pas de la coopération, mais de l’abstention, des garanties territoriales, la haute main en Allemagne et la restitution de la principauté de Neufchâtel.

« Il ne s’agit pas d’unité allemande, disait lord Clarendon à l’ambassadeur de Prusse, ni des arrière-pensées de l’Autriche, ni de la duplicité de la France ; il s’agit de réunir l’Europe dans une action commune pour maintenir l’intégrité de l’empire ottoman. Vos craintes sont de pures chimères ; l’empereur Napoléon témoigne dans les affaires d’Orient de la plus grande loyauté, du plus sérieux dévoûment aux intérêts européens. Il n’y a aucune raison de croire qu’il veuille reprendre l’idée napoléonienne et troubler le monde. » M. de Bunsen suppliait le ministre de la reine de ne pas juger la Prusse d’après la Gazette de la Croix, un journal d’illuminés : « Je ne la lis jamais, répondait lord Clarendon ; je ne m’occupe que des représentans du roi, et notre confiance en eux est profondément ébranlée. »