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paix non plus, à des conditions raisonnables telles que je les conçois, alors aussi je serai contre vous, non que je veuille dire que je vous déclarerai la guerre, — jamais je ne vous ferai la guerre, jamais, — mais je me retirerai dans ma coquille, et je ne bougerai plus : on ne pourra plus rien obtenir de moi… — Méfiez-vous, ajouta Sa Majesté, de Cronstadt et de Sébastopol, ce sont deux places imprenables. Pour Dieu ! portez vos efforts ailleurs ; songez quel effet désastreux produirait en France, où nous avons tant besoin que l’empereur conserve sa popularité, de voir vos vaisseaux rentrer désemparés à Brest et à Toulon ! Dites à l’empereur qu’il ne saura jamais assez la sincérité de mes sentimens pour lui.

« — L’empereur en est parfaitement persuadé, ai-je répondu.

« — Ah ! vous me faites bien plaisir de me dire cela. Il y a cette maudite Gazette de la Croix, que je déteste, qui, je ne sais pourquoi, a pris pour tâche de s’attaquer à la personne de l’empereur ; je ne cesse de sévir contre elle, je la fais saisir et même suspendre. C’est ce fou de Gerlach, le frère de mon adjudant, qui me compromet. »

Le roi déplorait sans doute les polémiques qui, par leur caractère injurieux, diffamatoire, pouvaient lui causer des ennuis et provoquer des représailles dans la presse française. Comme il le disait, il faisait saisir, suspendre même la Kreutz-Zeitung ; mais l’incorrigible gazette recommençait de plus belle le lendemain, certaine de caresser les passions secrètes, invétérées du souverain. Malgré les protestations qu’il venait de recueillir, M. de Monstier sortit troublé de l’audience, peu confiant dans les sympathies du roi pour l’empereur.

« Je le dis à regret, écrivait-il, je ne puis m’ôter de l’esprit que le roi Frédéric-Guillaume ne soit un des souverains de l’Europe qui aime le moins la France. Cependant, qui connaît le fond des cœurs ? Qui peut dire l’alta mente repostum de ce prince si mobile et si insaisissable, et néanmoins si obstiné dans ses idées, si prodigue de paroles et pourtant si dissimulé ? »

Les poètes et les philosophes n’ont pas ménagé Frédéric-Guillaume IV, bien qu’il protégeât les sciences et les lettres, qu’il eût attiré à sa cour des historiens comme Ranke et Raumer, des artistes tels que Rauch et Cornélius, et qu’il eût fait d’Alexandre de Humboldt un chambellan. Il a inspiré à Henri Heine, sous le titre : Un nouvel Alexandre[1], un de ses chants les plus mordans, et l’auteur de la Vie de Jésus l’a peint dans une satire historique, avec des citations de saint Grégoire, sous les traits de Julien l’Apostat.

  1. Dichtungen, t. XVII.