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gravité de ce qui se passait autour de lui ; il a traité toutes ces affaires assez légèrement, en politique peu sérieux et un peu vulgaire. Il ne s’est aperçu du danger que lorsqu’il n’était plus temps, lorsque déjà se déchaînaient contre lui les animosités croissantes du parlement, les manifestations populaires, lorsqu’il s’est vu réduit à ne plus même pouvoir refaire un cabinet à la place du ministère Rouvier, tombé en essayant de le couvrir. Il représentait encore, il est vrai, la constitution ; il n’avait plus la force morale pour la défendre. Débordé de toutes parts, il n’a su ni céder à propos, avec dignité, ni résister dans la mesure où il l’aurait pu peut-être. Il s’est débattu dans une médiocre agonie, tantôt promettant sa démission pour le lendemain ou le jour suivant, tantôt se dérobant par le silence, jouant avec les événemens et avec les chambres, ayant même un instant l’air d’attendre un retour de l’opinion, d’accepter pour complices les plus étranges auxiliaires. Il n’a fait qu’ajouter à la confusion des esprits, irriter les passions, attirer dans la rue les manifestations tumultueuses, qui ont commencé à se répandre partout, prenant d’heure en heure le caractère et les allures de la sédition. Quand il a eu tout épuisé, quand il a vu qu’il n’avait plus rien à espérer ni de l’opinion, ni du parlement, ni de la lassitude universelle, il a fini par se rendre, sans cacher sa mauvaise humeur. Il a envoyé aux chambres, sous le coup d’une sorte de sommation, un message qui n’était qu’un mélange de dépit et d’impuissance, une vaine représaille contre les animadversions dont il se croyait la victime, une revendication tardive et irritée du droit constitutionnel violé dans sa personne. Le fait est que M. Grévy, qui n’avait déjà su ni céder ni résister à propos, s’est préparé la plus maussade des retraites, — moins heureux que M. le maréchal de Mac-Mahon, qui, placé lui aussi, quoique pour d’autres raisons, dans une situation difficile, savait quitter le pouvoir avec la généreuse et délicate fierté d’un serviteur désintéressé du pays. Le président d’hier s’est retiré en vaincu vulgaire, laissant partout après lui l’incertitude et la confusion avec l’anxiété du lendemain.

Ce n’est là encore, en effet, qu’un acte du drame, une phase de cette crise publique. M. Grévy était emporté par un orage qu’il n’avait su ni prévoir ni apaiser. Comment allait-il être remplacé à l’Elysée ? Quel serait l’heureux ou le malheureux élu du congrès appelé aussitôt à se réunir à Versailles ? Les candidats ne manquaient pas : M. Jules Ferry, M. de Freycinet, M. Floquet, M. Brisson, sans compter les candidats dont on prononçait à peine encore le nom, comme M. Sadi Carnot, et les candidats involontaires, comme M. le général Saussier, qui entendait, — il l’avait déclaré d’avance, — rester dans son rôle de soldat et de gardien de Paris. A demeurer strictement dans la vérité des faits, M. Jules Ferry était évidemment au premier rang, il avait les chances les plus sérieuses ; mais déjà en peu de temps tout avait