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que l’œuvre avance vers son terme, d’en signaler l’une des qualités qui nous frappe le plus, c’est la rare indépendance d’esprit ou plutôt encore la singulière liberté de jugement dont ce beau volume nous est un nouveau témoignage. On n’est pas plus maître de ses opinions que M. Victor Duruy, et dans un sujet plus encombré, si l’on peut ainsi dire, d’idées toutes faites, on ne fait pas son choix, et on ne fait pas entrer les siennes propres avec plus de simplicité, de décision et d’autorité.

Après les livres d’histoire, les récits de voyage, qui sont eux-mêmes presque de l’histoire, ou, à tout le moins, de la géographie ; et pour courir d’abord au plus loin, l’Extrême Orient[1]de M. Paul Bonnetain. Ce très beau volume fait partie d’une collection dans laquelle ont déjà paru, l’an dernier, les Environs de Paris, et l’année précédente, l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande. Indo-Chine, Chine et Japon, M. Paul Bonnetain, sur beaucoup d’auteurs de récits de voyages, a cette première supériorité d’avoir vu de ses yeux quelques parties au moins des contrées dont il parle. Mais, s’il a bien vu, c’est une autre question, dont il faudrait, pour être juge, ou avoir soi-même visité l’Orient, ou connaître par d’autres tableaux les qualités descriptives de M. Paul Bonnetains et là-dessus, il faut l’avouer, ni son Opium, ni le Nommé Perreux ne nous ont assez renseigné. Contentons-nous de dire que sa Chine ne ressemble pas trop à celle du général Tcheng-Ki-Tong, c’est une première garantie ; qu’au contraire, son Japon ne diffère qu’à peine de celui de Pierre Loti, c’en est une seconde ; et si nous ajoutons que les récits qu’il nous en faits se lisent facilement et avec plaisir, il n’en faudra pas davantage pour recommander son volume aux curieux. — Nous ne mentionnerons que pour mémoire, ayant à peine en le temps de le feuilleter, le Kurdistan[2]de M. Henry Binder.

M. Camille Lemonnier n’est-il point Belge ? et si ce n’est pas une raison pour qu’il ait bien vu la Belgique, au moins n’en est-ce pas non plus une pour lui disputer le droit de la décrire. N’a-t-il point aussi débuté jadis par des romans d’une violence assez naturaliste ? et si nous préférons d’autres romans aux siens, nous convenons volontiers que c’est une assez bonne école que le naturalisme pour y apprendre l’art de voir et celui de traduire exactement ce que l’on a vu. Toujours est-il que la Belgique[3], dont nous connaissions quelques fragmens par le Tour du monde, excellent livre à parcourir, ne l’est pas moins à lire. Il nous serait facile à ce propos de faire des phrases, et voire quelque peu de « psychologie. » Entre la

  1. L’Extrême Orient, illustré de 450 gravures, 1 vol. in-8o. Quantin.
  2. Au Kurdistan, en Mésopotamie et en Perse, illustré de 200 gravures, 1 vol. in-8o. Quantin.
  3. La Belgique, illustré de 324 gravures sur bois, 1 vol. in-4o. Hachette.