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Juan, duc de Gandia, avait été légitimé par le même pape en 1482. Il avait dix-huit ans, César en avait seize, Lucrèce douze, Joffré dix. Juan, César, Lucrèce et Joffré ont formé seuls la famille politique d’Alexandre VI ; l’épitaphe de Vanozza, à Sainte-Marie-du-Peuple, ne rappelait que ces quatre noms. Girolama, Isabella, Laura, ne comptent point pour l’histoire. Giovanni, l’infant romain, qui passa pour le fils de Lucrèce et qui naquit durant le second veuvage de cette malheureuse femme, fut reconnu par deux bulles pontificales, en date du 1er septembre 1501, conservées à l’Archivio de Modène. Par le premier de ces actes solennels, Alexandre déclare que l’infant est fils de César Borgia de France ; par le second, qu’il est son propre fils. Sur ce Giovanni, que Lucrèce, devenue duchesse de Ferrare, éleva à sa cour en qualité de frère, repose le plus douloureux mystère de la vie d’Alexandre VI, comme de celle de César. En 1498, Lucrèce avait, en effet, donné le jour à un fils dont la naissance coïncide exactement avec les dates portées aux bulles de 1501. Plusieurs autres actes de la chancellerie vaticane, en 1502, attribuent encore cette paternité à César. Ce double aveu de paternité, cette confession contradictoire nous permettent d’indiquer seulement les termes du triste problème, sans essayer de le résoudre. Toutefois, il est bien entendu qu’il ne s’agit point ici d’une légende romanesque sortie du préjugé populaire, mais d’un ensemble de documens historiques, confirmés par le témoignage constant des ambassadeurs italiens, et d’une question d’état que les bulles apostoliques ont franchement présentée à la conscience de la postérité.

Revenons donc aux aînés de cette maison singulière. En 1492, don Juan, duc de Gandia, vivait en Espagne, où il s’était marié ; son ambition ne l’attirait point vers l’Italie ; je crois qu’il vint plus tard, bien à contre-cœur, séjourner à Rome, où le fratricide l’attendait. César, petit étudiant à l’université de Pise, fut doté par son père, le jour même du couronnement, de l’archevêché de Valence, et, une année plus tard, reçut le chapeau rouge. C’était ainsi un candidat d’avenir à la papauté. Juan Borgia, neveu d’Alexandre, évêque de Monreale, prenait la pourpre le 1er septembre 1492, et tous les Borgia ecclésiastiques, cousins ou neveux, la revêtirent tour à tour. Lucrèce, qui avait été déjà fiancée avec don Chérubin de Centelles, puis avec Gasparo de Procida, deux Espagnols, vit offrir sa main à un Sforza, Jean de Pesaro ; le mariage eut lieu le 12 juin 1493. Joffré, à l’âge de neuf ans, se réveilla chanoine et archidiacre de Valence. Mais le père songeait à établir son benjamin en quelques bons fiefs des Deux-Siciles ; le 16 août 1493, on le fiança à doña Sancia, fille naturelle d’Alphonse de Calabre, petite-fille du roi Ferdinand, qui apportait en dot la principauté de Squillace. Il jeta son camail aux orties, et représenta innocemment