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soutint la révolte des barons napolitains contre les Aragons alliés de Florence et de Milan ; il menaça Ferdinand de la restauration d’une dynastie française. Les Orsini passèrent au roi des Deux-Siciles, les Colonna et les Savelli au pape ; la guerre civile se ralluma dans Rome et la campagne romaine. Le pape, redoutant l’entrée de Virginio Orsini, rappela, pour les armer, les assassins bannis par Paul II et Sixte IV, et lâcha sur la ville les pires brigands de toute l’Italie. Venise s’empressa de dénoncer l’alliance et refusa son contingent. Alphonse de Calabre s’empara du Latium. Quand la famine fut dans Rome, et qu’en dehors des murs, jusqu’aux montagnes latines, tout fut brûlé, le pontife fit la paix : il abandonnait, sans aucun remords, les barons du Midi à la fureur de leur maître, qui les attira dans un piège et les fit égorger en masse. La politique guerroyante réussissait mal à Innocent. C’était un prince timide ; son fils Franceschetto et ses neveux avaient une âme d’usuriers médiocre et avide ; ils ne songeaient qu’à s’enrichir vite, et, Rome regorgeant toujours de spadassins et de vagabonds, ils imaginèrent un tarif pour les assassinats et des abonnemens qui assuraient la tranquillité des criminels. Franceschetto touchait 150 ducats par meurtre. En 1490, le saint-père faillit mourir. Son fils mit la main sur le trésor de l’église, et l’intervention des cardinaux seule l’empêcha de le faire passer en Toscane. Il se souciait fort peu d’un principat en Italie. Son père, afin de l’établir en Romagne, fit poignarder bien inutilement le neveu de Sixte IV, Girolamo Riario, tyran de Forli et d’Imola. Catarina Sforza, la veuve, vit jeter par une fenêtre le cadavre nu de son mari ; elle s’enferma dans la citadelle de Forli et la défendit contre la populace pour son fils Ottavio jusqu’à l’arrivée des secours de Bentivoglio et de Jean Galéas. Franceschetto dut se contenter d’un riche mariage dans la famille du premier banquier de l’Italie, Laurent le Magnifique.

Entre Sixte IV et Alexandre VI, ce pontificat, dont toutes les entreprises avortèrent, semble misérable. Avec Innocent VIII, toute dignité, toute pudeur a disparu, non-seulement chez le pontife, mais encore au sein du sacré-collège et de l’église. Laurent de Médicis, envoyant à Rome son fils, le cardinal Jean, âgé de dix-sept ans, disait au futur Léon X : « Vous allez dans la sentine de tous les vices, et vous aurez de la peine à vous y tenir décemment. » Les contemporains virent avec stupeur le pape reconnaître ouvertement ses enfans, comme eût fait un Sforza. Sixte IV, lui du moins, laissait passer Girolamo pour son neveu. Quand le sultan Bajazet eût confié à Innocent, au prix d’une pension de 40,000 ducats, la garde de son frère Djem, on s’étonna que le prince musulman, fils de Mahomet II, logeât, avec ses janissaires et ses musiciens, au palais apostolique. Il sembla aux bonnes gens de Rome