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déçu, froissé dans son amour-propre. Cependant il ne se tint pas pour battu.

L’empereur avait du goût pour sa personne et de la déférence pour ses opinions. Le ministre lui démontra que, s’il repoussait ses arrangemens, le parti français à Vienne serait sacrifié, que l’Autriche se rapprocherait de la Russie, et que, réconciliée avec elle, il se formerait au centre de l’Europe, contre nous, une neutralité armée aussi redoutable dans la paix que dans la guerre. Son éloquence ébranla la répugnance qu’éprouvait l’empereur à se prêter à des négociations avec la Russie tant qu’il n’aurait pas remporté un grand succès militaire. M. Drouyn de Lhuys fut autorisé à recommander itérativement à la sollicitude de lord Clarendon un nouvel examen de l’ultimatum sorti des délibérations de la conférence. Sa communication fut mal accueillie.

L’Angleterre avait été surprise par les événemens sans être prête ; mais aujourd’hui qu’elle disposait de toutes ses ressources, elle entendait ne pas déserter la partie tant que la Russie ne serait pas abattue. A ses yeux, la guerre ne faisait que commencer ; elle désavouait lord John Russell, qui, quelques mois après, dut abandonner son portefeuille. M. Drouyns de Lhuys et le comte de Buol-Schauenstein avaient négligé de compter avec l’obstination britannique. Le cabinet de Londres affirmait qu’une limitation artificielle de la puissance militaire et navale de notre adversaire dans la Mer-Noire ne serait pas une compensation suffisante aux immenses sacrifices qu’on s’était imposés, et qu’une paix qui obligerait la France et l’Angleterre à se rembarquer sans avoir planté leur drapeau sur la place qui, depuis près d’un an, était l’objectif de leurs efforts, loin d’affaiblir l’influence de la Russie en Orient, ne servirait qu’à rehausser son prestige. Lord Clarendon refusa de ratifier le projet de convention soumis à son acceptation. Son ambassadeur à Paris reçut l’ordre de déclarer que, si la France désertait l’alliance, l’Angleterre seule, au besoin, poursuivrait les hostilités. Lord Cowley était persona grata aux Tuileries ; l’empereur appréciait son jugement et sa loyauté. Il se rendit d’autant plus aisément à ses argument qu’ils répondaient à ses convictions. Il reconnut que signer la paix sans avoir remporté une éclatante victoire porterait au prestige des alliés une irréparable atteinte et remettrait tout en question. Il pria M. Drouyn de Lhuys, qui assistait à l’entretien, de revenir sur les instructions qu’il avait adressées au comte Walewski. C’était lui demander de désavouer son œuvre ; il s’y refusa, certain qu’avant peu l’empereur, en voyant la France s’épuiser dans d’infructueux efforts, reconnaîtrait la sagesse de ses conseils et que, désenchanté de l’alliance anglaise, il le rappellerait pour lui