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déploraient les difformités géographiques de la Prusse, ils auraient voulu les redresser et combler les échancrures qui creusaient ses flancs.

« Comment voulez-vous, nous disait M. de Manteuffel, que l’idée d’une guerre ne nous rende pas hésitans, craintifs ? Les avantages qu’elle nous offre n’ont rien de séduisant ; nous serions forcés ou de tenir garnison en Autriche, ce qui ne saurait convenir à une armée prussienne, ou de marcher sur Varsovie, et alors nous nous trouverions, comme le dit le roi, à la tête de tous les révolutionnaires, de tous les gens armés de faux. D’ailleurs, que faire en Pologne ? Nous avons un million de Polonais, cela nous suffit, et reconstituer la Pologne en royaume serait nous forcer de lui rendre Dantzig. » La restitution de Neufchâtel que caressait le roi et la révision du protocole du 8 mai sur la succession danoise n’étaient pas, aux yeux du ministre, un dédommagement suffisant aux sacrifices d’une intervention active. Un remaniement de la carte, assurant à la Prusse le premier rang en Allemagne et lui permettant de combler les solutions de continuité de son territoire entre les anciennes et les nouvelles provinces de la monarchie, tel était le prix, sans qu’il osât l’avouer, que le cabinet de Berlin mettait à son concours. Mais le groupement des alliances et le programme de la guerre ne comportaient pas de transformations au centre de l’Europe. La France et l’Angleterre, en s’alliant, n’avaient-elles pas hautement proclamé leur désintéressement et déclaré qu’elles ne poursuivraient aucun avantage personnel ? C’est parce que le gouvernement prussien savait qu’il ne serait procédé à aucune modification territoriale qu’il s’appliquait à gagner du temps et à ménager ses ressources.

Ambitieux et réaliste, M. de Bismarck cherchait, de son côté, des dédommagemens sans en trouver à sa convenance.

« Pourquoi, disait-il, entreprendre une guerre dont la Prusse n’a rien à attendre ? Il faut qu’elle reste maîtresse de ses destinées et puisse choisir le moment où ses intérêts la porteront à intervenir. La France et l’Angleterre proclament leur désintéressement ; mais l’Angleterre, en fermant la Mer-Noire aux Russes, assure son commerce et ses possessions indiennes, et en détruisant Sébastopol, la France assure sa prépondérance dans la Méditerranée. Que donnerait-on à la Prusse à titre de compensation ? Un morceau de la Pologne sans doute, dont elle n’a cure. L’Esthonie et la Courlande n’amélioreraient pas sa situation géographique ; elles la brouilleraient à jamais avec la Russie. Le mot de guerre de principe qu’affectent les alliés ne signifie rien. C’est au nom des principes que la Prusse a fait la guerre au Danemark, ce qui n’a pas empêché la France et l’Angleterre de contrecarrer dans la Baltique ses intérêts